Le phénomène du chômage des diplômés en Tunisie semble de plus en plus difficile à contenir, au point de constituer actuellement le point noir de l’économie. Ni les 5-6% de croissance du PIB par an, ni les différentes mesures prises (incitations fiscales pour attirer les entreprises étrangères en Tunisie, incitations à l’embauche auprès des entreprises tunisiennes, subvention étatique de l’emploi, annonce d’embauches dans le secteur public, incitation des étudiants à prolonger leurs études, etc...) ne semblent encore avoir des effets positifs.
Ces mesures ne sont pas efficaces car elles sont insuffisantes et ne servent actuellement qu’à colmater les brèches. Les dernières études de la banque mondiale révèlent le véritable problème : le gouffre existant entre offre et demande sur le marché de l’emploi en Tunisie. Cet écart entre offre et demande est quantitatif et qualitatif à la fois.
Il y a trop de nouveaux diplômés chaque année, et l’activité économique n’arrive pas à les absorber en totalité. Chaque année, 85 000 personnes arrivent sur le marché du travail pour seulement 60 000 à 65 000 postes supplémentaires. Les politiques d’éducation et de formation massives déployés depuis l’ère de Bourguiba montrent aujourd’hui leurs limites : on est dans un cas de surproduction de travailleurs, malgré un strict contrôle du taux de croissance démographique, et un développement économique soutenu. L’étude révèle qu’il faudrait un taux de croissance de 10% pour absorber tous ces nouveaux emplois…
"Nous avons gagné le pari de la quantité : 75 % des jeunes Tunisiens obtiennent aujourd'hui le bac. Il nous faut maintenant gagner celui de la qualité", admet un ministre tunisien.
L’autre écart est qualitatif. Les formations académiques sont en déconnection totale des besoins du marché de l’emploi. Le niveau du jeune diplômé est aussi en forte baisse, ce qui n’incite pas les entreprises à recruter. D’autres entreprises plus aptes au recrutement éprouvent beaucoup de difficultés à trouver les compétences qu’elles recherchent. La PME tunisienne, toujours enfermée dans un mode de gestion familiale obsolète, continue à réduire ses coûts par la compression des charges salariales.
Parmi les 4763 jeunes diplômés (Chiffres 2005) 46% des jeunes actifs n’avaient pas un emploi 18 mois après l’obtention du diplôme. Les maîtrisards et les techniciens supérieurs représentent 90% des diplômés. Près de 50% d’entre eux sont au chômage. La proportion des chômeurs chez les ingénieurs est de 10%, soit la proportion la plus faible de tous les diplômes/spécialités. Le taux de chômage des techniciens des Instituts supérieurs d'études technologiques (ISET) est de 45%, contre 53% pour les techniciens non-ISET. Les jeunes filles représentent 57% de l’ensemble de diplômés, contre 43 % pour les garçons. 51% des hommes sont employés contre 38% des femmes.
L’autre constat d’échec concerne les cycles dits courts (BAC+3, BAC+4) que l’éducation tunisienne a favorisé depuis plusieurs années afin d’augmenter le taux d’emploi des jeunes diplômés. Il s’avère aujourd’hui que c’est la couche la plus touchée par le chômage.
Dans les filières du tertiaire (gestion, finances, droit) tous niveaux de diplôme confondus, le taux de chômage est plus élevé, atteignant de 68% pour les maîtrisards des spécialités juridiques. Pour les filières techniques, le groupe de spécialités liées à l'agriculture et à l’agroalimentaire se distingue avec des taux de chômage nettement plus élevés (plus de 70% pour les techniciens supérieurs et plus de 31% pour les ingénieurs). (…) Plus de 38% des jeunes n’ont connu principalement que le chômage au cours de leur période d’entrée dans la vie active et deux tiers d’entre eux n’ont connu que le chômage durant les 18 premiers mois. En effet, les deux tiers des jeunes diplômés n’ont jamais accédé à un emploi ou à un stage durant les vingt premiers mois de leur vie active. La majorité des jeunes diplômés était au chômage à la sortie du système éducatif et n’en est pas sortie pendant plus de 15 mois. Les techniciens sont largement surreprésentés dans cette trajectoire.
Si beaucoup de jeunes diplômés sont au chômage, ceux qui ont trouvé du travail ne sont pas mieux lotis. L’étude révèle que plus de 23% des jeunes salariés travaillent sans contrat, que plus de la moitié des emplois sont conclus sous contrat à durée déterminée et que l’accès rapide et durable à un emploi ne concerne que le cinquième des diplômés, notamment les enseignants et les ingénieurs... Le chômage des jeunes aurait-il tendance à précariser l’emploi des autres jeunes ? C’est fort probable, car plus l’emploi est rare, plus les jeunes sont prêts à revoir prétentions à la baisse. L’étude révèle aussi un phénomène de déclassement de l’emploi qui est difficile à mesurer, et qui consiste à ce que des jeunes qualifiés occupent de plus en plus des emplois qui demandent peu de qualification. Ainsi, il n’est pas rare de voir en Tunisie des vendeurs de fruits et légumes qui soient diplômés en droit…Le secteur des centres d’appel est devenu aujourd’hui un symbole de la précarisation de l’emploi, et les bureaux d’emploi, sensés aider à l’insertion de ces jeunes, accentuent souvent leur désarroi…
Un autre problème risque bientôt de se poser : le chômage des surdiplômés. Car une des stratégies employées par les étudiants en fin de parcours pour éviter le chômage est de prolonger les études, quitte à faire des choix incohérents avec leurs parcours universitaire et par conséquent, réduire leur chance d’être employés plutard. Il concerne aujourd’hui 15% des jeunes diplômés.
Les solutions sont connues, encore faut-il les appliquer : comme subventionner la création d’entreprises plutôt que l’emploi, assainir l’environnement des affaires (corruption, privilèges et clientélisme) afin de booster l’investissement privé, et adapter les formations aux besoins du marché. Pour assurer la création de ces entreprises, il faut assurer leur financement. Or, ni le système bancaire tunisien, ni son marché financier ne peuvent le faire aujourd’hui.
Le désengagement total de l’Etat de la sphère économique est aussi nécessaire, comme l’affirme un économiste tunisien : les interventions discrétionnaires du gouvernement et la participation restreinte de la population à la vie publique contribuent à assombrir le climat des affaires et à renforcer le pouvoir des «initiés», surtout en l'absence de tout contre-pouvoir fort. Cela contribue également à réduire la transparence du marché et à décourager toute prise de risque chez les entrepreneurs moins bien introduits. Mais les derniers évènements qui ont eu lieu à la banque de Tunisie ne semblent pas aller dans ce sens…
Alors, à quand de vraies réformes ?
3 commentaires:
Bravo Carpe Diem pour ce post... Apres 3 ans de chomage,j'ai du quitter mon pays!
Quand j'y pense ! je m'en veux d'etre reste aussi longtemps... J'aurais du partir plutot !
@Zied: Merci pour témoigner de ta propre expérience!
Je ne crois pas que c'est du a la politique de Bourguiba. Le probleme qu'on a trops multiplier les etablissements universitaires mais on a perdu la qualite. C'est bien de combattre l'ignorance. Mais il n'a jamais etait question de faire de tout les Tunisiens des diplomes. Ben Ali, a produit trops de diplomes pour ces statistiques politiques, et maintenant on payent le prix.
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