27 août 2009

Décor électoral

Malgré la faim et la chaleur, la presse tunisienne a fait la fête aujourd'hui, à l'occasion de la pré-victoire aux présidentielles du "fils du peuple"...Et les photos étaient comme à leur habitude délicieuses:

Version 2009




Le plus frappant dans ces scènes devenues si familières, est l'extrême ressemblance des évènements - des textes et des scénarios aussi. J'ai voulu vérifier cette impression de "déjà vu", en allant fouiller dans les archives de notre Pravda nationale pour comparer les comptes-rendus des journées de dépôt de la candidature "suprême" pour les élections de 2004 et de 2009. Seulement, les archives de LaPresse s'arrêtent exactement au mois d'octobre 2004, impossible de remonter plus loin...Ils ont raison de raisonner en quinquennat, les archives de 22 années de changement pèseraient bien lourd!

Mais j'ai trouvé ailleurs ce que je cherchais, et la ressemblance des photos est troublante :

Version 2004

Vous remarquerez que mêmes les membres du conseil constitutionnel ne changent pas d'une élection à l'autre...Même chose du côté de l'opposition politique, qui comme prévu a fait preuve de courage et d'honnêteté en plébiscitant leur éternel et bien-aimé adversaire...

Evidemment, tous ces efforts font partie du décor pluraliste et constitutionnel qu'on veut absolument attribuer à ces élections. Mais pour qu'un décor soit crédible, il doit faire preuve d'un minimum de vraisemblance et de variété : il ne faudrait pas toujours utiliser les mêmes d'une élection à l'autre...Cette monotonie électorale qui dure depuis 20 ans ne dupe plus grand monde, à part ceux qui veulent bien y croire. Des phrases comme "veiller à ce que la Tunisie demeure constamment la patrie du sérieux, de l'effort, de l'équilibre et de la modération" ne correspondent plus à la réalité du pays. Quand plusieurs partis dits de l'opposition appellent pour voter pour un parti concurrent, ce n'est pas "sérieux". Quand un parti unique monopolise la scène politique et médiatique, ce n'est pas "équilibré". Et quand la Cour de cassation rejette le pourvoi des détenus du bassin minier, ce n'est pas ce qu'on peut appeler de la "modération".

15 août 2009

Peur castratrice


Repliée sur elle-même, la société tunisienne vit dans le passé, et a du mal à se projeter dans le futur. Les seuls points de repère que les gens adoptent sont le passé et les souvenirs : "Avant c'était mieux. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus difficile. Quant à demain, ça ne peut qu'être pire"...Le seul combat qui agite cette société est celui de sauvegarder ses acquis (moraux, économiques, et sociaux), et de maintenir ainsi le statu quo...

L'une des causes de ce comportement est la peur. La peur est présente dans toutes les sociétés, c'est sa nature et son intensité qui changent d'un pays à l'autre. En Tunisie, on a souvent peur, et de tout presque : peur du lendemain, peur de nos jeunes, peur de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de sa famille, peur de ne pas pouvoir sortir du chômage ou de l'emploi précaire, peur de ne pas pouvoir se marier comme tous les autres...Mais aussi la peur du flic, la peur de l'état, la peur de la politique, peur de l'islamisme, peur du retour à la polygamie, peur de se faire remarquer, peur de prendre la parole et de s'exprimer, peur d'exprimer ses ressentiments et ses mécontentements. La peur est ambiante, elle est diffuse; elle prend plusieurs formes et peut être exprimée différemment.

La peur "se cuisine" par et dans la société elle-même, mais il lui faut des ingrédients pour l'alimenter et la faire durer. Et ces ingrédients existent bien en Tunisie : désorganisation sociale, autoritarisme, faiblesses et perte des sens de la loi et des institutions, absence de mécanisme de représentation, impunité et abus de pouvoir d'une minorité, corruption favorisant le clientélisme aux rapports égalitaires, arbitraire de la loi et de l'administration. Tous les mécanismes prévus pour assurer la protection du citoyen des peurs qu'engendre la vie en société ne fonctionnent plus. Même le débat, qui est sensé aider à évacuer les angoisses et les peurs collectives, est biaisé, sinon clos. Toute forme d'association, ou de solidarité entre citoyens est interdite.

Cette peur est castratrice. Elle inhibe la création, bloque l'imagination et nuit au progrès. Notre seule conception du progrès est le progrès technologique importé. Notre seule définition de la modernité est notre plus grande propension à consommer. Les gens évitent de réfléchir, par peur de se poser les vraies questions. On vit au jour le jour, complètement absorbés par les détails insignifiants de la vie quotidienne, qui prennent du coup des proportions énormes. Il n'y a aujourd'hui aucun projet de société, qu'il soit économique, politique, social culturel ou syndical, qui puisse donner de l'espoir à cette société. Pas de projet en commun porté par la société tunisienne et auquel les gens peuvent s'identifier. La peur d'avancer favorise les stratégies "du retour en arrière". Devant, c'est le vide. Alors autant s'arrêter, voire même reculer...

Image : Par _z_, Debat Tunisie.