26 septembre 2009

Redeyef


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Décidemment, Redeyef est devenue une ville martyre en Tunisie. A elle seule, cette ville de quelques milliers d'habitants concentre tous les maux d'un peuple : pauvreté, chômage, pollution, sous-développement économique, manque d'équipements et d'infrastructures, répression policière. Après la terreur d'état qui s'est abattue sur la ville il y a un an, c'est la nature qui s'est déchainé sur ses habitants. Les inondations ont causé plus de 20 morts et plusieurs blessés, et la ville a été ravagée par les eaux qui ont tout emporté sur leur passage.

Un bilan si lourd est directement lié à la rapidité et la violence de la monté des eaux. Il est aussi dû à des carences dans la prévention et la prévision de telles crues et inondations. Si l'homme peine encore à contrôler les effets dévastateurs de la nature, il peut néanmoins disposer de moyens de prévention pour en limiter les dégâts humains et matériels. Et la prévention passe par la limitation de l'urbanisation autour des zones inondables en cas de fortes pluies, le contrôle des débordements par l'aménagement de digues de protection plus résistantes, par la facilitation de l'écoulement des eaux et le par le reboisement qui favorise leur absorption. Les prévisions, quand elles sont bonnes et précises, servent à alerter les populations en amont pour épargner le maximum de vies. A redeyef, on a failli à cette tâche. Des prévisions plus précises et mieux communiquées aux habitants auraient certainement sauvé beaucoup de vies. Et on retrouve cette incapacité à anticiper les évènements aussi dans la gestion de l'après-catastrophe, avec deux nouvelles pertes de vies par électrocution suite à la remise en marche de l'eau courante sans prévenir la population des risques qui y sont liés...

L’Institut national de la météorologie renvoie la balle aux autorités en niant s'être trompé dans ses prévisions et en affirmant avoir lancé l'alerte à temps. Les autorités se déploient et communiquent intensivement pour gérer au mieux le retour à la normale, non sans récupération politicienne. Il reste les habitants, qui continuent à accumuler les peines et les souffrances. Aidons-les comme on peut à les surmonter...

19 septembre 2009

Tunisie : des élections pas comme les autres


Depuis que les élections présidentielles et législatives existent en Tunisie, pourquoi a-t-on toujours eu droit à des plébiscites, avec au final des scores ridiculement hauts à la soviétique, et des partages déséquilibrés entre les différents mouvements politiques?


Il y a d'abord l'hyper-présidentialisation des élections, et des évènements politiques d'une manière générale dans le pays, plaçant le président au dessus de tout, surtout en période électorale. Les partis ont disparu, leurs programmes aussi. On demeure dans une logique de vénération de l'homme, au lieu d'assister à une vraie compétition entre différents programmes de réforme politique. Résultat : le vote et le plébiscite qui en découle ne servent qu'à renforcer le culte de la personnalité présidentielle. Cette personnalisation exagérée du pouvoir efface le reste de la classe politique nationale, et la rend bête et muette. Ce qui explique le vide intellectuel et institutionnel dans lequel le pays continue de sombrer. Et ce qui fait qu'on n'arrive même pas à feindre le jeu démocratique en instaurant le débat et en affichant des scores un peu plus crédibles...

Et puis il y a l'absence d'un contrôle indépendant de la régularité des élections pour limiter le sur-pouvoir présidentiel et celui de son parti-état. La loi tunisienne ne prévoit pas de tels mécanismes pour surveiller et dénoncer les violations et les abus qui peuvent manipuler ou influencer le déroulement et le résultat d'un scrutin. Le conseil constitutionnel est un organe consultatif dépourvu de pouvoir de sanction. Quant à l'observatoire des élections, dont les membres sont désignés par le président lui même, il n'est là que pour servir la campagne du président sortant : quand on sait que 9 membres de cet observatoire sur les 14 qui ont "surveillé" les élections de 2004 ont été reconduits dans leur mission pour les élections de 2009, on ne peut franchement pas s'attendre à des miracles pour les prochaines échéances...

A quelques jours du début des compagnes présidentielle et législative, la routine électorale est donc on ne peut plus pesante. Nos médias continuent à verser dans l'auto-glorification et à reproduire les mêmes mythes fondateurs du Changement : pluralisme et démocratisation graduelle, croissance économique, émancipation de la femme, modération religieuse et modèle social équilibré. Mais ce qui différencie cette échéance électorale des précédentes, c'est que ce discours officiel entendu et ré-entendu n'a jamais été aussi éloigné de la réalité du pays. L'économie est en crise, le chômage ne cesse d'augmenter malgré toutes les mesures de sauvetage de l'emploi, la corruption est endémique et contribue au renforcement des inégalités entre classes sociales, la femme tunisienne se cherche encore, et la religion est devenue le refuge de tous les soucis. Quant à la démocratisation, elle se fait au rythme des autorisations et des quotas attribués par le président à ses opposants...

Face à un tel gouffre entre les paroles et les faits, c'est l'équilibre social du pays qui se trouve menacé. Les évènements du bassin minier (2008) ont démontré l'extrême fragilité de cet équilibre. Les évènements de Soliman (2007) aussi. Si l'étau de l'oppression continue de se resserrer, l'ordre contrôlé peut faire subitement place au désordre et aux conflits violents. La Tunisie a besoin d'avancer, aujourd'hui plus qu'à tout autre moment...

10 septembre 2009

Le projet civilisationnel du changement


Depuis quelques semaines, toutes les associations, organisations professionnelles et autres institutions que compte la société civile tunisienne ne cessent de proclamer leur adhésion totale et absolue au "projet civilisationnel du Changement du 7 Novembre", et appellent ainsi à la continuité.

L'absence de la moindre critique, du moindre avis divergeant et d'une façon générale d'exception à la règle de l'adhésion, peut signifier deux choses : soit les tunisiens sont arrivés à un stade de maturité citoyenne et civile avancé qui leur permet aujourd'hui de se rassembler tous et sans exception derrière un même projet, indépendemment de leurs opinions et de leurs sensibilités différentes. Soit on vit dans un régime totalitaire qui ne peut tolérer aucun écart et aucun avis différent. Sachant que la richesse d'une société civile ne peut provenir que de la diversité de ses composantes, on est tenté de croire au deuxième scénario...

D'autant que la façon brutale dont l'état vient de boucler son dernier "chantier" pré-électoral, en délogeant manu militari le Syndicat National des Journalistes de son bureau, ne peut que confirmer cette hypothèse. La mobilisation en nombre des forces de l'ordre pour empêcher les membres du bureau syndical d'accéder à leurs locaux en dit long sur la nature des rapports que l'état entretient avec les institutions, les syndicats, ou toute organisation pour peu qu'elle soit indépendante, critique ou non allié. Parce que le dernier rapport sur l'état de la presse nationale émis par ce syndicat a été critique, et du fait qu'il ne se soit pas prononcé en faveur de la candidature du président sortant, la punition est tombée : le syndicat vient de subir un véritable coup d'état perpetré par des journalistes putshistes pro-gouvernement, et aidés par une justice partisane...

Oui, il n'y a pas le moindre espace permis à la liberté d'opinion et d'expression, et surtout pas pour les journalistes. La tolérance de l'état dans ce domaine est proche de zéro. Et en l'absence de tout autre moyen de discussion ou de négociation pacifiques, le recours à la force ( qu'elle soit judiciaire ou physique) est devenu quasi-systématique dans le traitement de ce genre de conflits d'indépendance. Tel est le projet civilisationnel qu'on appelle de toute part à reconduire : l'allégence comme unique moyen de survie et de reconnaissance, le recours à la force à la place du débat et la gestion politico-policière de toute tentative d'émancipation provenant de la société civile.