19 novembre 2009

Tunisie : tempête diplomatique



Nous assistons depuis quelques semaines à une crispation des relations entre la Tunisie et la France. Nous avions l'habitude d'une France plutôt réservée quand il s'agissait des excès du régime tunisien, et d'une Tunisie plutôt profil bas quand il s'agit de sa grande amie La France... Le ton a bien changé depuis que l'amie est devenue "traitre" et "non patriote", osant sortir de sa réserve :


"Nous sommes préoccupés par les difficultés rencontrées par des journalistes et défenseurs de droits de l'Homme en Tunisie"


Néocolonialisme et ingérence dans les affaires intérieures répond alors Tunis, qui a déjà essuyé quelques jours auparavant les communiqués "préoccupés" de toute la gauche française et de celui du Maire de Paris. Las de ces renvois de balles incessants par communiqués interposés, le gouvernement tunisien porte l'affaire au niveau régional, appelant à l'aide l'éternel guide de toutes les révolutions, même celle de la diplomatie tunisienne apparemment...Au nord de la Méditerrané, l'anti-patriotisme atteint la Belgique, cœur névralgique de l'Europe, avec laquelle la Tunisie s'apprête à négocier en 2010 son statut de partenaire "avancé"...Cette fois, la réponse de la Tunisie s'est fait attendre -une semaine environ- pour venir discrètement, mais avec un ton non moins accusateur, de l'ambassade de Tunisie en Belgique :

Nous rejetons énergiquement ces allégations sans aucun lien avec la réalité et dénonçons, par la même, une telle attitude inamicale qui relève franchement d'un néo-colonialisme primaire qui constitue une ingérence flagrante et inadmissible dans les affaires intérieures d'un pays souverain.

L'Europe semble exiger des gestes concrets d'apaisement de part du pouvoir tunisien. Mais celui-ci se montre susceptible et offensif, il répond au coup par coup, exagère les intentions de pays qui sont pourtant ses alliés et a même recours à des mesures punitives. Mais cette agitation de la partie tunisienne a ses limites. D'abord parce que le pouvoir tunisien brûle les étapes en haussant le ton très vite et en élevant l'affaire au niveau régional : va-t-on faire appel aux Nations Unies au prochain communiqué? Ensuite parce ce que la Tunisie est un partenaire de l'Europe, qui est en position de demande d'un statut avancé, et qui n'a toujours pas honoré une partie de ses engagements. Le dernier communiqué du Parti Socialiste Européen est sans appel :

The Tunisian government’s actions are unacceptable. It should treat its people and political opponents better. It must stop persecuting those who oppose the government. The regime must respect fundamental freedoms, if it aims for closer relations with the EU. Advanced status for Tunisia is out of question in the current situation.

Le désir du pouvoir tunisien de s'allier davantage à l'Europe est en complète contradiction avec sa fermeture sur les questions des libertés et des droits fondamentaux. N'est-ce pas là la limite du modèle tunisien, fondé sur un développement économique libéral et mondialisé, mais sans respect des libertés et sans progrès politique?


Source photo

11 novembre 2009

Cyber-repression


Les ennuis subis récemment par notre amie Fatma viennent nous rappeler que la libre expression sur internet représente aux yeux de nos censeurs une menace redoutable et redoutée. La piqure de rappel s'adresse cette fois directement aux blogueurs pour leur signifier que le risque de répression lié à la tenue d'un blog indépendant et au ton libre n'est pas que latent, mais bien réel et récurrent. Le projet Threatened Voices recense en Tunisie 19 cas d'atteintes à la liberté d'expression sur internet, la classant 4ème pays le plus répressif après la Chine, l'Egypte et l'Iran...

Selon les chiffres officiels, le nombre d'internautes tunisiens s'est multiplié par 17 en 8 ans, pour représenter 17% de la population en 2008 contre seulement 1% en 2000. Parallèlement, le nombre de blogs tunisiens n'a cessé d'augmenter, et les sujets qui y sont abordés sont de plus en plus variés, audacieux, et critiques sur des questions d'intérêt public. Des sujets qui sont strictement contrôlés et censurés dans tous les autres médias traditionnels, d'où la menace que représente la blogosphère, aussi modeste soit-elle, sur l'ordre établi.

Les attaques subies par les blogueurs peuvent varier : cela va de la censure des contenus jusqu'aux convocations policières répétées et l'emprisonnement. Le cru des élections 2009 est jusque là très lourd : une blogueuse harcelée et pas moins de 4 blogs censurés ou disparus : http://el-clandestin.blogspot.com ; http://rafiiik.blogspot.com ; http://fatma-arabicca.blogspot.com ; et http://dawwen.blogspot.com. L'objectif est toujours le même : faire peur et convaincre que le prix à payer est cher, réduire les blogueurs au silence en les intimidant par les déboires subis par l'un de leur congénère, Fatma en l'occurrence.

Isolés par nature, les blogueurs sont de ce fait plus exposés et vulnérables aux attaques, s'ils n'ont pas les moyens de se défendre. L'impressionnante mobilisation qui a suivie les convocations répétées de Fatma et le relais reçu à l'échelle internationale ont été très importants pour montrer qu'on peut s'unir pour s'opposer à de tels excès et plaider pour un Internet libre et non censuré. Notre objectif ressemble à celui de nos censeurs : convaincre de notre côté que le prix politique à payer peut aussi être cher en cas de mesures répressives prises à l'encontre de tout blogueur citoyen. Car nous devrions avant tout être libres de nous exprimer.

Photo issue du groupe Facebook Free Fatma, aujourd'hui censuré en Tunisie.

07 novembre 2009

Fatma




Les lendemains d' "élections" ont toujours été difficiles en Tunisie, particulièrement pour les voix libres. La vague de répression habituelle qui s'abat sur le pays juste après le plébiscite sonne comme une punition collective pour tous ceux qui critiquent la situation trouble dans laquelle la Tunisie continue de s'enfoncer. Les journalistes et les blogueurs semblent être la cible privilégiée cette fois. Et c'est avec colère et tristesse que nous avons appris l'arrestation de notre amie blogueuse Fatma :

"La blogueuse et professeure de théâtre Fatma Arabicca, de son vrai nomFatma Riahi, a été convoquée le 2 novembre 2009 par la police de Gorjani à Tunis. Libérée le soir même, elle a été de nouveau convoquée le lendemain et placée en état d’arrestation. Des policiers l’ont escortée à son domicile à Monastir pour fouiller son appartement et saisir son ordinateur." Le Blog de soutien de Fatma

Fatma est soupçonnée d'être derrière le blog DebatTunisie. Il est pourtant facile de vérifier que ce n'est pas le cas. Ils semblent donc vouloir envoyer un signal fort aux blogueurs, en faisant payer la note Fatma. Selon l'avocate , aucune charge n'est encore retenue contre elle. Si elle devait passer devant le procureur lundi 9 Novembre, il peut décider de la libérer, ou de la présenter devant un juge quelques jours après...

Que reproche-t-on à Fatma? Est-ce d'avoir partagé avec nous ses textes et sa soif de liberté? Ou alors d'appartenir à une communauté de blogueurs qui, malgré la censure, a su sauvegarder sa liberté de ton et d'expression, chose intolérable en Tunisie aujourd'hui? Un fort mouvement de solidarité est né spontanément sur la toile, en témoignent la blogosphère et le groupe Facebook qui a rassemblé en 24h plus de 1000 membres. Global Voices Advocacy, Aljazira, RSF et le Los Angeles Times ont aussi relayé son cas. Nous espérons qu'avec toutes ces voix qui lui apportent du soutien, Fatma soit le moins isolée et vulnérable possible face à une justice qui peut être instrumentalisée. Fatma, nous sommes avec toi!

Edit à 16h30 : "Bonne nouvelle! Fatma a été libérée cette matinée, son avocate, maître Leila ben debba, ne sait pas encore si cette libération est due à la clôture du dossier et à la non rétention des charges ou si c’est une libération provisoire"