04 mars 2012

Tunisie : débat faussé, opposition effacée


[AFP/Fethi Belaid]


Un débat faussé


Plus le temps passe, plus le gouvernement semble dans l’incapacité de faire face aux difficultés qu’il rencontre pour redresser la situation économique et sociale du pays. Fortement critiqué pour son laisser-faire sur la question des salafistes, pour son incompétence sur le dossier de l’emploi, ou encore pour sa mauvaise gestion des conséquences des intempéries qui ont touché récemment le Nord-Ouest du pays, le gouvernement refuse la critique, se replie sur lui-même, crie au complot et fait diversion. Des signes d’agitation qui ne font que traduire une situation d'échec et d'incompétence. L'absence de Jebali lors des questions aux gouvernement renforce cette impression. 


S’éloignant des vrais problèmes du pays et des vrais enjeux de la révolution, le débat est déplacé sur d’autres sujets de nature à déchainer les passions et à diviser l’opinion, comme la religion ou l’identité. On veut nous faire croire qu’aujourd’hui notre « identité arabo-musulmane » est en danger et que la gauche « athée » et « occidentalisée » en est la cause principale. 

Cette gauche serait d’ailleurs en passe de confisquer le pouvoir par la force, selon les dernières déclarations sans preuves des ministres de Jebali. Ce coup d’Etat imminent serait bien entendu appuyé de l’étranger et fomenté avec le mouvement syndical, considéré comme perverti par les idées de la gauche et manipulé par les mouvements destouriens contre-révolutionnaires. Opposition et médias affiliés (c'est à dire 90% des médias tunisiens selon le chef du gouvernement!) représenteraient le plus grand danger pour le pays, et le gouvernement, qui est « légitime » faut-il le rappeler, en serait la première victime. On accuse donc « les ennemis du gouvernement » d’être derrière la baisse des investissements, derrière l’absence de touristes, derrière la colère des marginalisés, etc. Une stratégie qui permet de détourner le débat des vraies priorités, de diviser l'opinion, et qui consiste à répondre par une démagogie passionnelle à des problèmes qui appellent à la plus grande rationalité et responsabilité !


Le débat polémique basé sur la religion et entretenu volontairement par certains responsables d’Ennahdha montre aussi qu’une frange de ce mouvement n’a pas renoncé à son projet originel d’islamisation de l’Etat, des lois et de la société. La démocratie semble représenter pour eux juste un moyen légal pour réaliser ce projet, plutôt qu’un esprit de gouvernance favorisant les libertés, l’émancipation de l’individu, le pluralisme politique, l’alternance au pouvoir, et où nulle loi, quelque sacrée qu'elle soit, n'est supérieure à la loi de la République. 

Effet direct de cette diversion : alors qu’avant les élections, les partis affichaient un consensus large autour de l’article 1 de la première constitution, évacuant par l'occasion le débat identitaire, les élus se retrouvent aujourd’hui à discuter, et ce dès le préambule du texte fondamental, de l’inscription de la Charia dans la nouvelle constitution. Une constitution censée s’inspirer avant tout des principes de liberté, de dignité, de travail, de justice...



Sur l’opposition tu ne pourras compter ?


De leur part, les partis d’opposition tendent  à se regrouper en coalitions pour augmenter leur poids électoral, dans une logique purement quantitative, et sans veiller au préalable à se réformer et à chercher un minimum de cohérence. Fragilisés par des démissions et des guéguerres internes, ces partis n'arrivent pas à renforcer leurs bases militantes pour mieux promouvoir leurs idées, et convaincre les tunisiens du bien-fondé de leurs programmes politiques. La plupart d’entre eux n’ont toujours pas renouvelé leurs dirigeants, ni passé le stade de « partis de personnalités », basé sur le culte de la personne fondatrice du parti.  Les conflits de personnes et d’égos qui les fragilisent ne cèderont la place aux débats d’idées que lorsque ces partis décideront enfin de faire leurs propres révolutions internes, et réfléchiront sérieusement à de vrais projets politiques qui rassemblent plutôt que divisent, et qui donnent du sens à notre avenir.


Plutôt que de s’adresser aux populations et se rapprocher d’elles pour les reconquérir, on a plutôt le sentiment que l’opposition cherche avant tout à convaincre la majorité de son existence, en reproduisant des réflexes d’opposition pré-révolutionnaires. Par son boycott de la séance des questions au gouvernement pour temps de parole insuffisant, l’opposition a préféré marquer sa présence en brillant par son absence, plutôt que de participer au débat par des contre- propositions convaincantes et efficaces qui lui feraient gagner des points dans l'opinion.


Pire encore, certains de ces partis d’opposition n’hésitent pas à mimer la stratégie des partis au pouvoir dans l’espoir d’égaler leur performance électorale, en ayant notamment recours au registre islamique pour légitimer leur action aux yeux des masses. L’UPL qui appelle à inscrire la Charia dans la constitution ou le PDP qui défend l’inscription de la référence aux valeurs islamiques dans le préambule de la constitution, après avoir dénoncé pendant toute la campagne électorale le projet islamiste d’Ennahdha, sont de parfaits exemples de cet opportunisme politique qui décrédibilise l’opposition, brouille son image et rend incrédule son message..