28 juillet 2009

"Elections" tunisiennes?


C’est durant les périodes électorales comme celle que nous nous apprêtons à vivre en Tunisie que nous pouvons nous rendre compte de l’extrême pauvreté du débat social et politique qui prévaut dans notre pays. C’est aussi le moment de mesurer à quel point le citoyen tunisien est déconnecté et désintéressé de la chose publique.

Il est vrai que les conditions nécessaires au bon déroulement du processus électoral sont loin d’être réunies pour que le citoyen s’y intéresse vraiment : faux décor pluraliste, absence de réel enjeu politique, absence de presse libre et d’institutions indépendantes qui sont sensés favoriser le débat et la compétition électorale.

Mais au-delà des conditions défavorables, qu’est ce qui empêche les tunisiens de participer quand même au jeu et de s’exprimer, quand l’occasion de le faire leur est donnée ? Pourquoi les tunisiens ne croient-ils pas aux élections ?

Peu de tunisiens ressentent qu’ils ont le pouvoir, en tant que citoyens, de changer les choses ou d’y contribuer à travers leur vote. Ce manque de confiance dans le système électoral peut être justifié par son opacité et par les fraudes qui biaisent les résultats à chaque fois. Tout processus électoral ne peut aboutir s’il n’y a pas un minimum de confiance dans les institutions qui le régissent.

Voter, c’est aussi faire un choix. Sauf qu’en Tunisie, il n’y a pas de choix à faire : les mouvements d’opposition sont soit interdits, soit très faibles et sans assise populaire. En l’absence de programmes de réformes claires, sur quels critères l’électeur pourra se baser pour déterminer son choix ?

Mais surtout, et c’est peut-être la raison la plus importante qui empêche les citoyens de sortir de leur passivité, peu de tunisiens sont aujourd’hui prêts à payer le prix du changement, et à renoncer à leurs acquis, qu’ils soient économiques ou sociaux. La peur de l’anarchie que peut générer un changement un peu trop brusque hante les esprits, et bloque toute tendance au changement.

On peut aussi entendre par ci et là d’autres arguments qui sont sensés expliquer notre déficit démocratique et notre tendance à accepter notre « moindre mal » actuel. Il y a bien sûr le spectre de l’islamisme, qui serait aujourd’hui la seule force politique qui pourrait bénéficier d’une popularité suffisante pour l’emporter sur tous les autres courants. Mais que penser alors de l’Iran, cette théocratie islamique qui peine à faire face à l’élan démocratique initié par son propre peuple suite aux dernières élections? Que penser de la Turquie, et d’autres états islamiques asiatiques qui arrivent malgré tout à engager des processus de réformes démocratiques? Que penser aussi des dernières élections au Liban, qui s’est soldée par la victoire de la coalition du 14 Mars, sur celle du 8 Mars, à laquelle le Hezbollah appartient?

Je ne pense pas que ça soit l’Islam politique qui nous empêche de nous exprimer librement, ni encore notre culture arabo-musulmane qui ne serait pas compatible à la démocratie « à l’occidentale », ni même le fait que notre peuple soit immature et incapable donc de séparer le bien du mal – le peuple tunisien est au contraire de plus en plus éduqué et accède plus facilement à l’information non contrôlée- ; Mais c’est bien ceux qui nous gouvernent qui nous privent de ce droit fondamental, celui de choisir nous-mêmes nos représentants…Car cela n’est tout simplement pas dans leur intérêt !

16 juillet 2009

Propaganda


L’information de la semaine, à savoir le lancement en Tunisie et en avant-première mondiale du nouveau bolide de la marque Porsche, n’a dû échapper à personne. L’information, lancée par « TAP Propaganda », a aussitôt été reprise par l’ensemble des journaux en ligne, chacun y mettant un peu du sien pour donner à ce micro-évènement une dimension nationale, presque patriotique…

Mais de quoi s’agit-il au fait? Une marque positionnée sur le marché de l’automobile de luxe, en manque de ventes, lance un nouveau modèle dans un contexte mondial marqué par la crise économique et par une chute vertigineuse des ventes mondiales de voitures, qu’elles soient luxueuses ou pas. Mais en Tunisie, l’information est présentée comme étant un évènement d’envergure : « une prouesse qui témoigne, si besoin est, d'une forte conviction du constructeur allemand dans les potentialités du marché tunisien, le savoir-faire et l'efficacité commerciale de son concessionnaire tunisien ». Le concessionnaire en question n’est autre que la société Ennakl…


Quelles sont donc ces fameuses potentialités du marché tunisien pour vendre cette machine qui sera facturée au prix indécent de 250 000 DT (140 000 €), soit plus de 1000 fois le SMIG tunisien ? D’après le concessionnaire tunisien, ce « fort potentiel » est estimé à 40-50 ventes par an. Ce qui représenterait un Chiffre d’Affaires d’environ 7 millions d’€ par an pour le constructeur, soit moins de 0,5% de son CA mondial, si l’on se base sur les résultats du groupe au cours des 9 derniers mois (4,6 milliards d’€). Pas si fameux que cela le potentiel finalement…Le Directeur Commercial de la marque, quant à lui, se montre plus prudent sur « le potentiel du marché tunisien », et préfère invoquer « la stabilité économique du pays » et « ses performances économiques appréciables » pour justifier le choix de notre pays. Comme si le monsieur s’apprêtait à commercialiser des centrales nucléaires pour justifier la prise en compte de critères politiques et économiques pour choisir où il va lancer son produit en premier…

Beaucoup de bruit pour rien, donc. Ou presque…Car ce qu’il faut retenir de ce grand pas en avant vers le progrès et la modernité que vient de réaliser la Tunisie, c’est bien entendu «La stratégie avant-gardiste et visionnaire de notre président- directeur général, M. Mohamed Sakher El Materi, et ses excellentes relations avec les membres du directoire de Porsche A.G nous ont fait bénéficier d’une confiance certaine auprès de cette marque prestigieuse ».


Dans l’art de la récupération politique, rien ni personne ne pourra rivaliser avec la propagande tunisienne!


05 juillet 2009

La censure de retour sur Facebook


Les censeurs du net semblent suivre minutieusement la formule du "plutôt prévenir que guérir" pour contrôler la toile.

Alors que le groupe Facebook "Free From 404: pour le retour de Youtube et de Dailymotion" gagnait en popularité très rapidement ces derniers jours,- en approchant les 4000 membres depuis le 1er Juillet-, la censure a procédé aujourd'hui à une "coupe " dans les membres du groupe, en réduisant la communauté à seulement 400 membres. Difficile de saisir comment ils ont procédé, mais beaucoup de membres du groupe se sont apperçus aujourd'hui qu'ils n'y appartenaient plus! Il est clair qu'on a voulu nuire à la popularité de la compagne, et la stopper dans son impulsion.

Mais les conséquences de la manoeuvre ne peuvent être que positives. La réaction de la censure renforce la crédibilité du projet, permettant à chaque membre du groupe de vivre concrètement un cas de censure. Le nombre de membres est déjà remonté à plus de 1400 en quelques heures. Celà donne aussi du grain à moudre pour les défenseurs de la cause, ce qui lui permet de durer.

Pour rejoindre le groupe, ici.
Photo de Khmaies

02 juillet 2009

Escale tunisienne


"Lors d'une croisière en Censurie, la Tunisie mérite une escale : premier pays africain à avoir investi Internet, rutilante vitrine de l'informatisation des citoyens et des nouvelles technologies louée par Bill Gates (" Je suis époustouflé par la Tunisie "), cet Etat est à la pointe de la cybercensure. Dès 2000, dans une blogosphère encore déserte, il innovait en censurant sur son territoire le forum Takriz.org, ("ras-le-bol".org). La même année, son premier cyberdissident,Zouhair Yahyaoui, était arrêté dans un publitel (cybercafé) et condamné à dix-huit mois de prison pour avoir proposé un sondage sur son site, Tunezine : " La Tunisie est-elle un royaume, une république, un zoo, une prison ? "

Le mariage des technologies dernier cri de cybersurveillance et d'un Etat policier a engendré en dix ans une triste routine – cyberdissidents emprisonnés et blocage systématique des sites de la presse étrangère dès qu'un entrefilet déplaît. Lofti, un Tunisien qui vit en Europe, se souvient qu'il n'a jamais pu accéder au portail français Voila.fr lors d'un séjour au pays. Pourquoi ? A cause des dépêches AFP que le portail propose ? De photos trop sexy ? Les questions aussi sont mal vues. A noter : l'ATI, depuis ses débuts, est toujours dirigée par une femme. Khadija Ghariani, ingénieurSup Telecom Paris promo 1984, Feriel Béji, docteur en intelligence artificielle, et Lamia CheffaiSghaier, ingénieure en génie électrique, s'y sont succédé. En dissidence, on les surnomme les Ben Ali's Angels, une production locale sous-titrée : " A nous de vous faire détester Internet ! ". La Tunisie est aussi championne d'un certain cyberhumour."

Source: Article du Monde "Les censeurs du Net" par Claire Ulrich

01 juillet 2009

Express yourself, don't repress yourself!




Exprimer son opinion et dire librement ce que l’on pense…Voilà peut-être le plus grand défi que chaque tunisien doit relever aujourd’hui. Nous avons été élevés dans la mesure et dans la censure de nos propres opinions ; nos aînés nous ont toujours recommandé d’éviter de parler des sujets qui fâchent …

Il n’est plus possible aujourd’hui de vivre comme des autistes, bouches cousues et faces voilées…

Environ 10 ans après la naissance de la toile tunisienne, plus d’1 million de tunisiens continuent de naviguer dans un web censuré et strictement surveillé. Nous n’avons pas le droit de regarder des vidéos sur Youtube ou Dailymotion, pas le droit de nous informer auprès de médias indépendants. Il nous est interdit d’adhérer aux causes auxquelles nous sommes sensibles, interdit aussi de nous exprimer librement sur les réseaux sociaux. Nos comptes mails peuvent êtres trackés, et nos données personnelles violées. La toile tunisienne ressemble à une cour de prison, où un gardien armé est posté dans chaque petit recoin. ..

Les internautes tunisiens ont su s’adapter pour trouver des moyens de contourner la censure. Nous utilisons des proxys, ces serveurs anonymes qui échappent à la surveillance. Nous avons créé des sites relais pour diffuser les informations ciblées par la censure. Nous nous sommes réfugiées dans des réseaux sociaux (Blogosphère, Facebook, twitter), où nous nous regroupons pour mieux contrer la censure…Nous usons de notre humour et de notre persévérance pour résister aux pressions. Tout cela est bien, mais pas suffisant.

D’où l’intérêt d’unir nos voix aujourd’hui, nous qui sommes tous concernés d’une manière ou d’une autre par la censure sur internet et ailleurs, pour réclamer notre droit à l’expression libre. Un droit fondamental surtout dans un pays comme le notre, tristement reconnu aujourd’hui pour être l’un des plus oppresseurs de la liberté d’expression dans le monde.

C’est d’autant plus important qu’en l’absence de presse libre, et donc de contre-pouvoirs et de garde-fous aux agissements des uns et des autres, il n’y a que la scène virtuelle qui peut aujourd’hui constituer un espace ouvert à un débat public objectif et constructif…
Résistons donc à la censure!