25 avril 2011

Tunisie : journaliste, profession à réinventer


Avant la révolution, les tunisiens se méfiaient des médias nationaux audiovisuels et écrits pour leur affiliation ou leur assujettissement au pouvoir. Après la révolution, la parole a été libérée mais les tunisiens restent méfiants et insatisfaits. Ils continuent de douter de l'indépendance de certains médias et dénoncent le manque de professionnalisme des journalistes.


Même si l'on peut constater quelques améliorations depuis le 14 janvier, les journalistes tunisiens ne sont pas encore prêts à couvrir correctement la période électorale qui démarre. Autrefois inhibés et (auto)censurés, ils tentent petit à petit de reprendre possession de leur profession non sans difficultés. Les manquements sont flagrants en matière de respect des règles et de la déontologie journalistique dans le traitement de l'information, et la qualité du rendu n'est pas toujours à la hauteur des attentes.


A quelques exceptions près, on retrouve les mêmes lacunes chez les journalistes tunisiens, tout support confondu. Quand il dispose d'une information, le journaliste tunisien se contente généralement de la délivrer à l'état brut. Par moment, il ne prendra pas la peine de la vérifier, de la recouper, de contextualiser les faits et de les analyser, laissant libre champ à l'interprétation et à la rumeur. Dans son réflexe de peur du châtiment et d'obéissance aveugle à l'autorité, il ne se risque pas dans le traitement d'informations critiques envers le gouvernement. Parfois, le journaliste ne prend pas assez de distance et manque d'objectivité par rapport au sujet abordé, ce qui peut influencer l'opinion. Quand il anime un débat, il peine à le recadrer et à faire respecter le temps de parole, laissant passer les dérapages médiatiques. Dans ses écrits, il privilégiera l'opinion à l'enquête, la capitale à la région...


Ces lacunes, qui sont dues à un défaut de formation et à un manque d'expérience dans l'exercice libre et respectueux des règles de la profession de journaliste, sont renforcées par l'absence de cadre législatif structurant et de moyens de régulation. A défaut de compétences et de structures, le journalisme en Tunisie continuera à verser dans le sensationnalisme et dans les règlements de comptes et les journalistes à confondre leur rôle, ce qui n'apporte aucune valeur au citoyen qui a avant tout besoin de s'informer pour comprendre ce qui se passe dans le pays.

Le journaliste tunisien doit également faire face à d'autres difficultés liées à un environnement toujours hostile, qui ne respecte pas son métier et qui n'affectionne pas la transparence. Plusieurs cas d'agression de journalistes ont été
dénoncés, d'autres médias sont toujours indésirables. Deux photographes ont été arrêtés puis relâchés hier à Tunis parce qu'ils prenaient la police en photo. Certains journalistes continuent à être pointés du doigt pour leur proximité avec l'ancien régime. D'autres subissent des pressions et des menaces de poursuite quand ils s'intéressent un peu trop aux sujets sensibles liés à la corruption et la sécurité du pays. Et la disparition de la manne financière de l'ATCE, ancien organe de propagande, fragilise le secteur et commence à faire tomber des structures...


A trois mois du vote pour élire une assemblée constituante, et face à la multiplicité des partis politiques et à la complexité des questions à débattre, la situation devient inquiétante. Les recommandations annoncées par l'instance nationale pour l'information et la communication se font toujours attendre. Des journalistes de l'audiovisuel bénéficient actuellement d'un programme d'accompagnement de l'Audiovisuel Extérieur de France, et c'est une bonne chose. Mais qu'en est-il du cadre législatif? Dans quelles conditions et de quelle manière la campagne électorale va être couverte par les journalistes tunisiens? Disposeront-ils des moyens qu'il faut? Les médias électroniques seront-ils assujettis au même code que les autres médias? Les dérapages médiatiques seront-ils sanctionnés? A défaut de journalisme performant, les tunisiens continuent-ils à s'informer via Facebook et autres médias alternatifs?

Autant de questions sans réponses à ce jour...



Pour aller plus loin : ici (anglais) et ici (arabe)

Source photo : ici


17 avril 2011

Tunisie : le RCD est mort, vive la révolution!

Il fait un sale temps pour les militants de l'ex-parti au pouvoir en Tunisie, feu le RCD. Après avoir régné sans partage durant 23 ans, la révolution les a subitement dépossédé de leur "souverain" qui a fui, de leurs privilèges qui sont tombés suite à la dissolution de leur parti, et de tout espoir de représentativité après leur exclusion des élections de l'assemblée constituante prévues le 24 juillet prochain.

Terrés et silencieux depuis le 14 Janvier dernier, ils se sont rassemblé pour la première fois cette semaine pour dénoncer l'arrestation d'anciens ministres et responsables du RCD, estimant qu'ils sont victimes d'injustice et de règlements de comptes politiques. Mais leur cri reste inaudible, et les tunisiens, toujours aussi furieux contre l'ancien régime et ses partisans, sont résolus à les voir payer pour le mal qu'ils ont causé au pays, à commencer par les responsables qui étaient les donneurs d'ordre.


Il est certainement de leur droit de manifester pour exprimer leur opinion, aussi minoritaire soit-elle dans la Tunisie post-révolutionnaire. Mais il est difficile d'accepter leurs arguments quand ils se sont rendus eux-même coupables des mêmes torts. Car ceux qui mettent en avant le patriotisme des caciques du régime de Ben Ali pour les défendre sont ceux-là même qui ont galvaudé le sens du patriotisme pour exclure tous ceux qui s'opposaient à leur régime. Et quand ils crient à l'exclusion et à l’injustice, ils oublient trop vite que leur parti n'a servi qu'à exclure une bonne moitié de la Tunisie qui souffrait, et à la renier.


Le retournement de situation est surprenant, presque incroyable, mais si juste! Et seul le sentiment de justice aidera à apaiser les esprits, et fera qu'on regarde vers l'avant. Pour l'instant, les tunisiens sont encore à remuer le passé et ne semblent pas encore prêts au pardon. Chose que les ex-RCDistes devraient comprendre, comme on peut comprendre le sentiment d'exclusion de ceux parmi eux qui n'ont rien à se reprocher, à part peut-être le fait d'avoir profité du système...


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01 avril 2011

Tunisie : fin de période de grâce pour Caïd-Essebsi


On dit de M. Rajhi qu’il a su faire montre de courage et de détermination en purgeant une partie du système sécuritaire Benalien malgré les menaces et les hostilités auxquelles il a dû faire face. Il vient pourtant d’être démis de ses fonctions par le premier ministre pour présider le « Comité Supérieur des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales ». Une belle planque ou un lot de consolation pour un ministre populaire qui a su apaiser les esprits…pour un bref moment du moins.


Car ce remaniement sonne malgré tout comme un aveu d’échec du gouvernement de transition qui peine à rétablir la sécurité dans le pays. Vols, braquages, incivilités, ou encore jets de pierres et attaques contre ministres et ambassadeurs, ces évènements et ces abus, que presse et médias en manque de sensationnalisme ne cessent de relayer et d’amplifier, s’enchainent depuis des semaines ce qui ne rassure pas les tunisiens qui ont placé dans un récent sondage la sécurité au top de leurs priorités !


Ce départ est-il le signe de l’influence toujours intacte des corps de police qui ne comptent pas renoncer aussi facilement à leurs prérogatives ? Ou est-ce peut-être une énième tentative du premier ministre pour rétablir l’ordre en nommant quelqu’un de la maison, un ex-chef de cabinet au même ministère, dans l’espoir qu’il ait plus d’autorité et de facilité à traiter avec une police égarée et nostalgique d’un pouvoir déchu ? Malgré l’importance de ces questions, Caïd-Essebsi n’a pas su – ou voulu ?- y répondre lors de sa dernière intervention télévisuelle, laissant la rumeur enfler et l’opinion se braquer de nouveau contre un gouvernement qui manque de transparence et qui fait de la rétention d’information, ce qui n’est pas sans rappeler d’anciennes pratiques. Sebsi a préféré sombrer dans l’alarmisme sur les questions sécuritaire et économique du pays.


Il est vrai que l’insécurité et le désordre sont des obstacles majeurs pour la reconstruction. Ils repoussent les investissements et les touristes et ravivent la tentation du commandant fort et autoritaire. Ils annulent le débat politique et favorisent les extrêmes. Ils poussent les plus désespérés à risquer leur vie dans les mers agitées…Il est évident aussi que la Tunisie accuse un coup sévère sur le plan économique.


Mais la révolution tunisienne qui a débarrassé le pays de despotes qu’on pensait indéboulonnables, l’a aussi fortement et subitement déstabilisé. De l’asservissement à la libre action, de l’ordre policier à l’insécurité, de la stabilité économique à la stagnation, du statut quo social aux revendications, … ces changements profonds mettent à mal un pays longtemps décrit comme « paisible et serein », mais qui s’est révélé être un véritable volcan en sommeil.


Quoi de plus normal dans ce contexte que de perdre pour un moment ses repères et se sentir en insécurité? Quoi de plus prévisible aussi que de voir l’ancien système résister par tous les moyens ? N’avons-nous pas trop cher payé cette fausse sérénité sous l’ère Ben Ali ? Si la révolution fut rapide, la mutation du pays et de la société va longtemps durer, nous en sommes persuadés aujourd’hui au rythme où les choses avancent. Et cela ne se fera pas sans des sacrifices consentis par tous.


S’il a raison de tirer la sonnette d’alarme sur l’urgence de la relance économique et le rétablissement de l’ordre, le gouvernement de transition pourrait probablement prendre en compte plus sérieusement les attentes de l’opinion en termes de transparence, d’honnêteté et d’information claire et transparente. Ne pouvant pas fonder son action sur une légitimité révolutionnaire qui lui accorderait confiance et crédibilité, les moindres faits et gestes du premier ministre et de son gouvernement continueront à être épiés et commentés par une opinion impatiente, vigilante pour ne pas dire suspicieuse, et capable de faire pression. La posture du chef de gouvernement qui assume ses décisions, impose son autorité et qui n’entend pas partager la prise de décision est une formule obsolète aujourd’hui. Aussi, qualifier le nouveau sit-in prévu à El Kasbah d'action "intolérable" n'est pas de nature à faire retomber les tensions. On ne peut plus gouverner la Tunisie comme on l’a fait ces 50 dernières années, fut-ce pour une période transitoire. Car on ne peut pas gouverner d’en haut une révolution née d’en bas…


Photo : M. Farhat Rajhi