20 mai 2008

A propos du MEPI et de l'IREX

Le débat fait rage depuis que l’IREX a lancé des invitations aux blogueurs maghrébins pour une rencontre au Maroc. Certains blogueurs tunisiens ont refusé de prendre part à cette initiative, accusant l’IREX, et par extension le MEPI, d’être un organe dépendant directement de l’administration américaine, ce qui lui enlève toute crédibilité aux yeux de ces blogueurs, qui préfèrent plutôt avoir affaire à des organes indépendants de la société civile américaine.

Au-delà des discours anti-Bush, et de la question de savoir si on peut faire confiance à une administration dont la conception de la démocratie à montré ses limites (cf. guerres Irak, Afghanistan et prison de Guantanamo), j’ai voulu me renseigner sur les activités, et surtout les réalisations du MEPI. Mon objectif étant de juger le plus objectivement possible de l’efficacité d’une telle initiative, et de donner le maximum d’éléments aux blogueurs tunisiens et maghrébins en général pour qu’ils puissent juger d’eux-mêmes de faits concrets, sans tomber forcément dans l’anti-bush cru...

Le MEPI a été au départ conçu comme un antidote à la stratégie traditionnelle des Etats-Unis en matière d’aide, qui se traduisait par des programmes d’aide à grande échelle basée sur des relations gouvernement à gouvernement ; et à la reconnaissance des USA que tout développement économique et social ne peut être réalisé sans qu’il soit accompagné par un travail de démocratisation politique. Le MEPI a donc pour mission de lancer des programmes de financement à petite échelle, adressées essentiellement aux organisations non gouvernementales arabes et à la société civile.

La question aujourd’hui est : est ce que cet outil de promotion de la démocratie a réellement atteint les objectifs qu’il s’est fixé au départ ?

Une enquête américaine indépendante (cette enquête n’est pas très récente car elle date de 2004, mais je la juge encore pertinente car l’administration américaine n’a pas changé depuis cette date, et que par conséquence, il y a peu de probabilité que le MEPI ait subi des changements de fond dans sa stratégie ou sa vision…) a déjà pointé les problèmes et les faiblesses du MEPI dans l’atteinte de ses objectifs, même si les fonds qui lui sont allouées par le congre américain, sur demande de l’administration Bush, sont en constante progression depuis 2002, et même si ses activités se sont renforcés dans la région MENA, avec deux bureaux de représentation, l’un à l’ambassade américaine à Tunis, et l’autre aux Emirats Arabes Unis.

Quand bien même les programmes financés par le MEPI seraient de nature à améliorer le bien-être des populations arabes, la stratégie du MEPI manque de lisibilité et de cohérence, ce qui réduit son impact réel sur le terrain. Comme le soulignent les auteurs de l’enquête :

While these projects individually present worthy opportunities to improve the lives of Arab men, women, and children, the sheer diversity of audiences and issues addressed by these programs means that their impact is likely to be limited in both scope and longevity.

Ce manque de cohérence serait dû à deux causes. Il y a d’un côté la pression exercée sur le staff du MEPI à dépenser activement son budget alloué afin de justifier de futures demandes d’augmentations de budget, ce qui a amené le MEPI à financer plusieurs projets sans qu’il y ait eu une planification et une vision stratégique au préalable. Il y a de l’autre côté la concentration de ces financements sur des programmes économiques, généralement contrôlés par les gouvernements arabes, et la négligence des projets sociaux et politiques, ce qui l’éloigne de son objectif principal :

MEPI's spending trend toward economic reform and away from political and social reform reflects a lack of attention to these cautionary Arab voices, and a willingness by the United States to rely on economic wedges to attempt to advance political liberty.(…) When a government demonstrates a real commitment to improving its responsiveness to citizen needs and its openness to citizen participation, it can be both appropriate and helpful for MEPI to provide government-to-government support. But where this will is absent, weak or feigned, MEPI's funding can have the effect of subsidizing an Arab government's attempts to build a kinder, gentler autocracy.


Le choix de favoriser une assistance aux gouvernements durant ses premières années d’activité a considérablement érodé la crédibilité du MEPI. Les oppositions démocrates et les sociétés civiles dans les pays arabes ont montré leur scepticisme envers le MEPI, rendant la réalisation de projets communs avec ceux-ci encore plus difficile qu’elle ne l’est déjà. Car un autre obstacle rencontré par le MEPI est une montée du ressentiment anti-USA chez le peuple arabe depuis quelques années. Ajouté à cela un stricte contrôle de la part des pouvoirs arabes, qui n’ont montré jusque là aucun intérêt à ce que leurs peuples se démocratisent réellement :


One North African activist recently told us that American democracy assistance projects such as those MEPI funds propose "to help us be more efficient, to organize. But there is something before this—to have the right to organize."

Absence de cohérence, de plan stratégique et donc d’impact ; hostilité de l’environnement où MEPI exerce ses activités ; strict contrôle des pouvoirs en place, et absence de volonté politique au plus haut degré, aussi bien de la part des américains que de celle des pouvoirs arabes représentent les obstacles qui, à mon avis, font que le MEPI ne pourra jamais atteindre ses objectifs en l’état actuel des choses.

Les détracteurs du MEPI lui reprochent, entre autres choses comme le manque de transparence, le fait que les programmes de financements qu’il met en place soient « politisés ». Le MEPI privilégierait des organisations déjà acquises à la cause des USA comme, en Tunisie, la Chambre de commerce tuniso-américaine (TACC) ou l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI), avec qui il y a eu un différent:

Cet établissement collaborant depuis longtemps avec la Bowling Green State University (Ohio), le Mepi a accordé à cette dernière 50 000 dollars pour financer le partenariat, avant de démarcher directement l’IPSI. Il a été décidé de doter l’atelier presse écrite d’équipements permettant aux étudiants de fabriquer eux-mêmes leur journal interne. Le professeur Hamida el-Bour a été désignée par la direction de l’institut pour coordonner le projet. Des ordinateurs et un appareil photo numérique ont été achetés. Lorsqu’on s’est aperçu que le nom du journal, Perspective, rappelait fâcheusement une revue d’opposition publiée à Paris dans les années 1960, il a été remplacé par celui de Prospective. Huit numéros du journal ont été réalisés et un voyage aux États-Unis pour cinq étudiants et deux enseignants a été organisé. Le Mepi ne s’est pas immiscé dans le contenu du journal, jusqu’à ce qu’un de ses membres découvre incidemment, lors d’une visite, un article hostile à la politique américaine. Sa réaction a été brutale : « On ne vous donne pas de l’argent pour critiquer Bush. - Mais c’est ça, la liberté d’expression ! » a protesté el-Bour. (…)À la fin de l’année universitaire 2005-2006, lorsqu’il a été question du renouvellement de la subvention du Mepi, l’Ipsi a décidé de mettre un terme à la coopération. « Cela a été un flop, commente el-Bour. Je suis partie d’un objectif terre à terre : équiper mon atelier. Je ne pensais pas du tout au cadre politique et aux objectifs américains. Aujourd’hui, si c’était à refaire, je ne le referais pas. »

L’ambassadeur des USA en Tunisie a par ailleurs justifié l’arrêt de subventions à l’IPSI pour des raisons « logistiques ». Une autre polémique impliquant le MEPI est née en Tunisie concernant les contours du partenariat qui lie le MEPI avec la société tunisienne qui a lancé le nouveau magazine "l’expression ». Vous trouverez plus de détails sur cette affaire en cliquant sur ce lien.

Voilà pour le MEPI. Maintenant pour revenir à l’appel de l’IREX à organiser un Meet-up entre maghrébins, je pense que l’initiative est louable pour les raisons suivantes. Elle correspond d’abord à un besoin réel et éprouvé des blogueurs maghrébins à plus de dialogue et plus de débat, deux choses qui manquent cruellement dans la scène politique des pays du Maghreb. En plus, l’IREX a appelé à une rencontre strictement maghrébine, ce qui traduit une approche, pour une fois, différenciée du monde arabe : on ne peut pas traiter les pays du Maghreb et ceux du Golfe de la même manière. Il semble qu’ils ont commencé à le comprendre…A partir de là, je ne vois pas pourquoi on refuserait d’accepter cet appel, à moins que ce refus soit motivé par des considérations morales, qui prennent en considération les conflits israélo-palestinien et irako-américain…Dans ce dernier cas, il appartient à chacun d’agir selon ses propres convictions.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

cher carpe diem
tu ne reponds pas aux questions que tu as posé toi-meme:
qui est mepi et qui est irex pour moi hadj moussa/moussa hadj soit bonnet blanc/ blanc bonnet en voici la preuve et la source (les americains eux memes):

Le programme MENA MEDIA de Bourses de Perfectionnement des Leaders
Emergents est organisé et mis en oeuvre par
IREX et Community Media Network avec l'appui de l'Initiative de
Partenariat avec le Moyen-Orient (MEPI) du
Département d'Etat Américain

http://rabat.usembassy.gov/root/pdfs/elf-advertisement-2008_french.pdf

on ne peut pas etre plus clair!!!!

24Faubourg a dit…

merci pour cet éclairage

Selim a dit…

Ikbal: mon objectif n'est pas de savoir qui ils sont vraiment, mais qu'est ce qu'ils font! A défaut de savoir qui ils sont vraiment, car j'ai bien compris que le doute est porté sur leur indépendance, j'ai voulu savoir s'ils étaient vraiment utiles, comme ils le prétendaient.

@faubourg: merci de ton passage

MAD DJERBA a dit…

Merci pour ces précisions et ce résumé car j'avais lu quelques posts en français avant (limitée par ma non connaissance de l'arabe) et ne comprenais rien à rien. Maintenant, c'est bien plus clair !

Gouverneur de Normalland a dit…

bravo pour ce beau travail d investigation

juste une precision : le comité de boudourou dont je fais partie, a refusé l'invitation, non pour les conflis israelo palastinien ou a cause de l Irak, mais pour que ce blog garde sa credibilité et son independance.

boudourou est un observatoire du monde de la presse en tunisie et donc il est imperatif qu'il garde une certaine objectivité. l'exemple de l IPSI que tu viens de citer ne peut que montrer la justesse de notre decision qu'on assume pleinement.

je sais que beacoup de bloggueurs n'ont pas lu le mail d'invitation . je veux donc preciser que l'organisme en question ne propose pas que de "dialogues entre bloggueurs" mais surtout "une formation des bloggueurs".
on va etre formé a quoi ???? et qui a dit qu'on cherchait a etre formés ?

Anonyme a dit…

Merci carpe diem d'avoir expliquer certaines choses. Parce que les autres et surtout les partisants du "pour", appuiyent la conferences sans donner le miniumum d'explications a part la langue de bois empreinte et hypocrites: debat, communications, et je ne sais pas quelles autres salades. Les frais sont pris en charge par la conf, alors c'est normal qu'elle aura beaucoup de supporters. Je me demandes comment des organisations non gouvernementales, et non politisees peuvent avoir de tels moyens. Pour les opportuinistes, toutes est possibles, et ils ne cherchent jamais a renter dans les details, pourquoi se casser la tete?! Comme l'a dit Sarkozy: nous sommes une main d'oeuvre, c'est a dire naifs et superficiels.
La democratie ne s'importe pas et ne s'exporte pas. Comme premier moyen de lutte contre la dictature, je propose de baisser un peu le niveau de l'opportuinisme et de l'hypocrisie. Je sais que c'est dure, mais sans ca, meme les US ne pourrons rien faire pour nous. On peut pas faire confiance au Tunisien, pour le moindre interet il change de lois et de foi.