Je suis tombé sur un document de la CIA classé confidentiel à l’époque où il a été rédigé mais rendu publique aujourd’hui. Ce document, intitulé The Current situation in North Africa, a été publié la première fois le 12 Septembre 1952. Il décrit la situation politique et économique, et établit les éventuels développements à terme dans la région.
La description de la situation de la Tunisie à l’époque est très intéressante. C’est une véritable leçon d’histoire, qui traduit la singularité de la situation de la Tunisie par rapport à ses voisins. J’ai pu traduire quelques paragraphes :
La population tunisienne musulmane est politiquement et culturellement la plus avancée en Afrique du Nord, et constitue une population relativement homogène. Depuis que la France a établi son protectorat en 1881, les français ont instauré une politique « d’association » plutôt que « d’assimilation », ce qui n’a pas altéré la nature de la société. Des barrières culturelles et sociales bien définies existent entre les 3 100 000 natifs tunisiens et les 153 000 colons français (On compte aussi 88 000 italiens dans le nord). Une bonne partie des natifs tunisiens est illettrée, mais à une moindre échelle par rapport aux autres pays de l’Afrique du Nord. L’influence montante des tunisiens ayant reçu une éducation francophone démontre une capacité d’autogouvernement substantielle
Quelques remarques sur ce paragraphe. Bien avant que les réformes Bourguibiennes ne commencent, on se rend compte que la Tunisie disposait déjà d’une petite longueur d’avance sur ses voisins dans le domaine politique, culturel et éducationnel. A la veille de son indépendance, la Tunisie aurait ainsi bénéficié d’une situation de départ relativement favorable, due notamment à l’émergence d’une élite tunisienne éduquée et une société tunisienne homogène. La CIA insiste sur l’intégrité de l’identité sociale et culturelle tunisienne, ce qui a probablement constitué un atout dans l’acquisition de notre indépendance. Cependant, j’ignorais la présence de tant d’italiens dans le nord du pays…
La structure politique : La Tunisie est sur le plan légal un pays souverain régi par la loi du Bey de Tunis. Mais le traité du protectorat donne à la France le contrôle de la défense, des affaires étrangères et le droit d’instaurer des réformes internes. En pratique, le Général français résident contrôle à peu près toutes les affaires du pays (…) Malgré leur petit nombre, les colons dominent l’économie tunisienne, tous les monopoles publiques sont détenus par les colons (…) Malgré le fait que le Bey de Tunis bénéficie d’une certaine popularité auprès du peuple tunisien, il lui est difficile de s’opposer aux français.
En gros, nous étions bel et bien colonisés et non protégés. Mais ça on le savait déjà…
Nationalisme : L’activité nationaliste tunisienne date de 1907, mais le premier parti nationaliste effectif, le Destour, fut créé après la première guerre mondiale. En 1934, stimulés par la montée d’un courant Panislamique dans le Proche Orient, les plus radicaux du parti Destour se sont retirés pour créer un nouveau parti, le Neo-Destour. Le vieux parti du Destour a décliné depuis, laissant la place au Neo-Destour conduit par Habib Bourguiba, qui a réussi à étendre son influence au point de se voir accorder par les français quelques cabinets politiques. L’UGTT, Union Générale des travailleurs tunisiens, dirigée par Farhat Hached, a été d’un support considérable au Neo-Destour.
On sent là l’émergence progressive d’un leader, Bourguiba en l’occurrence, et la reconnaissance de celui-ci en tant que tel. On remarque aussi le caractère progressif de la lutte pour l’indépendance. Tout ne s’est pas fait juste à la veille du 20 Mars 1956, mais suite à un long processus de « Nationalisation ». L’acquisition de notre indépendance a aussi été essentiellement Politique et syndicale, ce qui n’est pas le cas des autres colonies françaises de l’époque.
La crise : Suite à la demande formulée par Bourguiba aux Nations Unies de considérer le cas tunisiens, les français ont renforcé le contrôle et la répression dans le pays. Le tour de force français a eu pour résultat de renforcer le sentiment nationaliste et d’indépendance chez les tunisiens, et de renforcer l’influence des nationalistes, qui demandent désormais l’indépendance complète et immédiate du pays (...) Le contrôle français a été progressivement réduit aux domaines des affaires étrangères, de la sécurité et de la finance.
Le document complet, ici.
La description de la situation de la Tunisie à l’époque est très intéressante. C’est une véritable leçon d’histoire, qui traduit la singularité de la situation de la Tunisie par rapport à ses voisins. J’ai pu traduire quelques paragraphes :
La population tunisienne musulmane est politiquement et culturellement la plus avancée en Afrique du Nord, et constitue une population relativement homogène. Depuis que la France a établi son protectorat en 1881, les français ont instauré une politique « d’association » plutôt que « d’assimilation », ce qui n’a pas altéré la nature de la société. Des barrières culturelles et sociales bien définies existent entre les 3 100 000 natifs tunisiens et les 153 000 colons français (On compte aussi 88 000 italiens dans le nord). Une bonne partie des natifs tunisiens est illettrée, mais à une moindre échelle par rapport aux autres pays de l’Afrique du Nord. L’influence montante des tunisiens ayant reçu une éducation francophone démontre une capacité d’autogouvernement substantielle
Quelques remarques sur ce paragraphe. Bien avant que les réformes Bourguibiennes ne commencent, on se rend compte que la Tunisie disposait déjà d’une petite longueur d’avance sur ses voisins dans le domaine politique, culturel et éducationnel. A la veille de son indépendance, la Tunisie aurait ainsi bénéficié d’une situation de départ relativement favorable, due notamment à l’émergence d’une élite tunisienne éduquée et une société tunisienne homogène. La CIA insiste sur l’intégrité de l’identité sociale et culturelle tunisienne, ce qui a probablement constitué un atout dans l’acquisition de notre indépendance. Cependant, j’ignorais la présence de tant d’italiens dans le nord du pays…
La structure politique : La Tunisie est sur le plan légal un pays souverain régi par la loi du Bey de Tunis. Mais le traité du protectorat donne à la France le contrôle de la défense, des affaires étrangères et le droit d’instaurer des réformes internes. En pratique, le Général français résident contrôle à peu près toutes les affaires du pays (…) Malgré leur petit nombre, les colons dominent l’économie tunisienne, tous les monopoles publiques sont détenus par les colons (…) Malgré le fait que le Bey de Tunis bénéficie d’une certaine popularité auprès du peuple tunisien, il lui est difficile de s’opposer aux français.
En gros, nous étions bel et bien colonisés et non protégés. Mais ça on le savait déjà…
Nationalisme : L’activité nationaliste tunisienne date de 1907, mais le premier parti nationaliste effectif, le Destour, fut créé après la première guerre mondiale. En 1934, stimulés par la montée d’un courant Panislamique dans le Proche Orient, les plus radicaux du parti Destour se sont retirés pour créer un nouveau parti, le Neo-Destour. Le vieux parti du Destour a décliné depuis, laissant la place au Neo-Destour conduit par Habib Bourguiba, qui a réussi à étendre son influence au point de se voir accorder par les français quelques cabinets politiques. L’UGTT, Union Générale des travailleurs tunisiens, dirigée par Farhat Hached, a été d’un support considérable au Neo-Destour.
On sent là l’émergence progressive d’un leader, Bourguiba en l’occurrence, et la reconnaissance de celui-ci en tant que tel. On remarque aussi le caractère progressif de la lutte pour l’indépendance. Tout ne s’est pas fait juste à la veille du 20 Mars 1956, mais suite à un long processus de « Nationalisation ». L’acquisition de notre indépendance a aussi été essentiellement Politique et syndicale, ce qui n’est pas le cas des autres colonies françaises de l’époque.
La crise : Suite à la demande formulée par Bourguiba aux Nations Unies de considérer le cas tunisiens, les français ont renforcé le contrôle et la répression dans le pays. Le tour de force français a eu pour résultat de renforcer le sentiment nationaliste et d’indépendance chez les tunisiens, et de renforcer l’influence des nationalistes, qui demandent désormais l’indépendance complète et immédiate du pays (...) Le contrôle français a été progressivement réduit aux domaines des affaires étrangères, de la sécurité et de la finance.
Le document complet, ici.
3 commentaires:
Excellente trouvaille, Merci
Désolé je n'arrive pas à trouver le site indiqué, j'entre dans le site principal de la CIA, mais pas dans le document, si seulement vous pourriez m'indiquer un lien valide je vous serais reconnaissant moi même ainsi qu'au chercheur à qui j'avais l'intention de le lui indiquer.
Merci
@khanouff: Vous avez raison, le lien ne fonctionne plus, et je ne comprend pas pourquoi car j'ai vérifié l'adresse et elle est correcte. Je vous invite à m'envoyer un mail (voir mon profil) et je vous enverrai le scan des deux pages concernant la Tunisie et que j'ai heureusement gardées!
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