15 juillet 2008

Précarité de l'emploi dans les centres d'appel européens en Tunisie

Dans un article bien informé du magazine tunisien Réalités, quelques jeunes diplômés en médecine ou en finance témoignent de leurs conditions de travail en tant que téléopérateurs pour des entreprises européennes implantées en Tunisie:

Au début, c’était amusant de vivre huit heures par jour dans la peau d'un voyant, mais avec le temps on se rend compte qu'on ne fait qu'escroquer les gens, surtout que la société fait signer à chaque téléopérateur recruté un engagement de ne jamais divulguer ses activités. Karima, alias Solène, maîtrise en Gestion, option finance à l'IHEC.

Avec les pourcentages sur les heures de communication et des primes motivantes on peut percevoir jusqu’à 600 dinars par mois. Nadia, alias Aline, diplôme en Médecine.

Les conditions de travail sont de plus en plus dégradées. Nous subissons un flicage incessant et une multiplication des écoutes sauvages. Moez, alias Jérôme.

Pour aller aux toilettes, je dois lever le doigt et attendre l’autorisation de mon superviseur. S’il y a beaucoup d’appels en attente, on n’est pas autorisé à y aller. Karima, diplôme en Biologie.

Il y a quelques semaines, mon chef est venu frapper à la porte des toilettes pour me presser de sortir en raison d’un nombre important de clients en attente. Une téléopératrice anonyme.

Après quelques mois de travail, tous les télé-opérateurs se rendent compte que leur tâches sont dévalorisantes pour un diplômé en médecine ou un ingénieur en informatique. Zoubeïr, alias Pierre.

La Tunisie occupe la deuxième place après le Maroc sur le marché des centres d’appels off shore avec plus de 140 centres d’appels, français pour la plupart. le secteur emploie au moins 7.000 jeunes Tunisiens, essentiellement des diplômés de l’Enseignement supérieur, selon l’Agence de promotion des investissements extérieurs (FIPA).



Salaire annuel d'un ingénieur informatique débutant en 1000 euros


Le développement des
télécommunications, des infrastructures modernes, le faible coût de la main-d’œuvre et la place de la langue française sont autant d’atouts favorables à l’implantation de centres d’appels. Ajoutez à cela un cadre légal et réglementaire très favorable, au point de permettre aux centres d'appels qui s'implantent en Tunisie de réaliser 20% de gains en coûts d'exploitation par rapport au Maroc et à la Roumanie,(pays pourtant réputés pour leurs bas coûts du travail...), selon une étude d'Enst&Young en 2007. Pour une entreprise comme La Société Tunisienne de Télémarketing, filiale d'un groupe français, qui réalise 20 millions d'euros de chiffres d'affaire par an, les gains doivent être substantiels...et qui sont pourtant non imposés!

Car ces entreprises, qui certes créent de l'emploi, coûtent aussi très cher à l'état tunisien, et à tous les tunisiens d'ailleurs: elles ne paient pas d'impôts sur les bénéfices (puisqu'elles sont exportatrices, et qu'elles paient leurs impôrts en France, accord de non double imposition oblige...), elles ne passent pas par la douane tunisienne pour importer leurs équipements, elles ne paient pas de TVA sur leurs acquisitions locales, elles ne cotisent pas à la sécurité sociale (c'est le gentil état tunisien qui le fait à sa place...), elles ne paient pas la totalité des salaires des cadres recrutés (l'état prend en charge une partie des salaire, jusqu'à 250 dinars sur 400 dinars de salaire moyen...), etc. C'est à se demander sérieusement si ça ne coûterait pas moins cher à la Tunisie de prendre en charge le coût du chômage des 7000 employés du secteur...

Certains diraient que les conditions de travail dans ces centres d'appel ne diffèrent pas beaucoup de celles qui prévalent dans l'entreprise tunisienne. Sauf que ces entreprises jouissent de suffisamment d'avantages et de moyens pour guarantir des conditions de travail décentes. Se permetteraient-elles du moins de traiter leurs employés de la sorte, si elles étaient en Europe? Non, car la force de la loi européènne ne le leur permetterait pas. Elles auraient été contraintes d'alléger la charge du travail des employés en recrutant davantage. Elles auraient peut-être et aussi été accusées d'harcèlement d'employés "en pause pipi", et obligées de prendre en charge les frais de psy de ses téléopérateurs égarés...

Ce qui m'amène à parler de l'Union pour la Méditérannée, fêtée en grandes pompes ce week-end en France, et de douter du deal "gagnant-gagnant" promis par Mr Sarkozy. Si cette union signifie le bradage des richesses et des compétences du Sud au profit du Nord, et tant que les lois, les conditions de vie et de travail, les droits et les libertés n'auront pas les mêmes poids et les mêmes consistances des deux côtés de la mer, quel sens aura cette union?

6 commentaires:

Khalil a dit…

Très bon sujet.
C'est vrai que s'il n'y avait pas ces centres d'appels les taux de suicides parmi les pauvres diplômés chômeurs auraient grimpés.
Mais quand on voit la façon avec laquelle ils les maltraitent, c'est à se demander si ces personnes ont aboli ou non l'esclavage.
Je pense qu'au 21ème siècle et dans un pays comme le nôtre (une référence en matière de pauses) nous avons le droit de faire sa pause (notamment pipi) tranquillement.
Sinon, tu as parlé de l'union de la méditerranée, c'était clair dés le début. Avec Sarko, on ne doit jamais s'attendre à sortir gagnant.

Anonyme a dit…

Excellent post!

ulyssen a dit…

c'est un bon article, mais je tient a t'apporter quelques corrections, j'ai travaillais 1 an et demi a TP, ils ne payent pas la secuité sociale juste pendant la premiere année dans le cadre du contrat SIVP, apres ils la payent et ils sont tres reglos,et juste pour les gens qui le souhaitent, ca permet d'avoir des salaires plus haut puisque sur la fiche de paye les conseillers ne payent pas d'impots ca donne des salaires de l'ordre de 600 d par mois, aucune entrepise ne te donnera ce salaire pour un premier emploi, en plus eux ne te diminu pas les 100 d de l'etat, donc c'est vrai que les conditions sont difficiles, mais c'est toujours mieux que de rester au chomage non ?! moi j'ai jamais arrété de chercher un autre job, ca fait 2 ans que j'ai changé mais dans l'ensemble c'est une bonne premiere experience !

Selim a dit…

@Khalil : C'est vrai que ces boulots compensent un peu, mais quel gâchis pour tous ces ingénieurs et médecins...Merci

@ex blonde: Merci et à bientôt!

@Ulyssen: Merci pour tes corrections. C'est vrai qu'il vaut mieux que ces diplômés travaillent, et qu'ils sont relativement bien payés. Mais à quel prix?

Anonyme a dit…

ces centres d'appels sont un esclavage moderne à 200€ le mois pour des BAc+5

Une pantalonade dirait le Marseillais...

A bon employeur Salut

Anonyme a dit…

exploitation......c'est une honte.....et dire que les politiques tunisiens acceptent.....et laissent faire.....centre d'affaire....un abus......travail....Tunisie...prison....droit de l'homme.....Sameh....justice.....critique....Harakati.....tribunaux....tragique....destin....pour des milliers de tunisiens qui sont exploités.....

http://tunisie-harakati.mylivepage.com