Francois Xavier, un écrivain spécialiste de l’Orient, fait une synthèse des idées développées par Moustapha Safouan, un Psychanalyste lacanien d'origine égyptienne et né à Alexandrie, dans son essai: Pourquoi le monde arabe n’est pas libre ?
Ce psychanalyste a tenté une introspection du Moi du peuple arabe, et ses conclusions sont plus qu’intéressantes. L’auteur commence par expliquer pourquoi le Moyen-Orient, une région berceau de la civilisation, n’est plus que sang et larmes, régimes dictatoriaux et intégrisme religieux ? Et la réponse de l’auteur va à l’encontre des hypothèses les plus acceptées aujourd’hui, comme l’explique F.Xavier :
Entendons-nous bien, s’il faut chercher une cause, une explication, il faut la chercher dans l’appareil étatique et non dans le religieux. Oui, la religion est conservatrice par nature, mais ce qui caractérise ce conservatisme est la détermination de la communauté à survivre, tandis que le conservatisme de l’État vise à conserver le pouvoir et à réserver les privilèges à ceux qui le servent.
Dès lors, affirmer péremptoirement que la suprématie de l’Occident sur l’Orient tient à la différence entre le christianisme et l’islam, entre un christianisme ouvert à l’argumentation et un islam fermé tel un monolithe est un non-sens !
N’oublions pas que l’islam s’ouvrit à certaines périodes à une très sérieuse et fructueuse discussion entre "ceux à qui appartient le jugement", ashab alra’y, c’est-à-dire les traditionalistes, et "les amis du nouveau", les modernes, ashab alhadith.
Ensuite, lorsque les empereurs chrétiens s’installèrent en Orient, à Byzance, et agirent à l’instar des rois perses, imitant le luxe et la splendeur de leurs cours, la chrétienté commença à décliner. A l’exception des icônes, ils ne laissèrent aucune trace comparable à ce que laissèrent l’islam ou la chrétienté occidentale.
Il serait donc plus juste de dire que l’islam fut victime des nations qu’il envahit, victimes elles-mêmes de régimes politiques et d’appareils administratifs dont le seul propos était d’assurer la domination de l’État sur tous les aspects de la vie. La conséquence en fut que le monde arabe devint une nation prête à applaudir n’importe quel personnage débordé par sa folie mégalomaniaque, prétendant être le Un qui arrangerait tout ... Une nation qui attend après un sauveur ne peut rien vivre d’autre qu’une déception répétée.
Sur la Culture dans le monde arabe, l’auteur accuse l’esprit d’élitisme véhiculé par l’Arabe Classique et par les écrivains qui le pratiquent:
Si nous entendons par ce mot tout ce qui dépend d’une méthode de transmission créatrice, alors nous devons avouer que le monde arabe n’est pas vide de personnes cultivées mais est vide de culture !
En effet, il convient que les écrivains cessent de défendre la culture arabe ou de prédire son avenir mais qu’ils œuvrent à créer cet avenir ! Ils doivent participer à l’émergence d’école où enseigner le dessin, la sculpture, la poésie, la narration, le journalisme, le théâtre, etc. Il faut surtout qu’ils trouvent le courage de rompre la barrière élitiste de l’arabe classique car il lie et aliène le peuple au régime ; et fait des lecteurs un groupe de lettrés qui se lisent les uns les autres mais n’ont aucune communication avec le reste de la population. Ils doivent revenir à la langue vernaculaire car le but de l’écriture est de fournir la matière avec laquelle le peuple pourra articuler une compréhension plus efficace de sa situation.
Aujourd’hui, les Arabes vivent dans des sociétés où le pouvoir politique, malgré son caractère apparemment grotesque, ne suit pas la volonté de la majorité mais celle du monarque, lequel est supposé incarner un idéal paternel.
Dans la culture arabe, cette fascination de l’idéal prend racine dans la fascination exercée à l’aurore de la vie par la figure dite du père imaginaire ou idéal, une fascination qui peut prendre toute une vie pour se dissiper dans ses effets conscients ou inconscients ...
A cela, il convient d’ajouter que chaque langue a inscrite en elle une certaine philosophie que la parole présuppose sans l’expliciter. Par exemple, le français se tourne en premier vers l’universel, puis vers le particulier considéré comme exemple et preuve de l’universel. Parler arabe, par contre, nécessite d’entrer dans un univers bien ordonné où chaque chose est à sa place, où tant l’être individuel que l’univers en général sont protégés du changement. C’est une philosophie que la réalité peut réfuter un millier de fois sans jamais la réfuter, parce qu’elle constitue les prémisses latentes de la communication. Et qui osera se libérer des limites que la langue lui impose ?
A l’origine des origines, à la naissance de l’écriture en Mésopotamie et dans la vallée du Nil, un dogme s’est imposé donnant à l’ascendant de l’écriture une puissance telle que les peuples étaient empêchés de pénétrer ses secrets. En Extrême-Orient et au Moyen-Orient, ceux qui savaient lire et écrire n’excédait pas 3 à 5% de la population car le but de l’écriture était de maintenir les différences sociales entre ceux qui gouvernent et les autres ...
Le résultat aujourd’hui en est flagrant ; d’où l’urgence qu’il y a à convaincre les écrivains arabes d’écrire dans la langue parlée par le peuple et appeler à une démocratie qui soit l’expression réelle des sentiments du peuple. Car si les écrivains arabes ne remplissent pas leur devoir, les Arabes n’auront aucune autre existence que celle que l’Occident jugera convenable - si ce n’est pas déjà le cas ...
Sur la question du terrorisme religieux, l’Islam n’est pas fautif :
Quant à ceux qui veulent fonder leur leadership sur l’islam en appellent à un dire du Prophète, un hadith, qui nous enjoint d’obéir à ceux parmi nous qui ont la charge de la direction (ouli-l-‘amr). Mais nulle part il n’est dit que ceux qui ont cette charge sont les politiciens ou les chefs d’État, ils peuvent tout aussi bien être des enseignants ou des philosophes qui transmettent une branche de leur savoir ... N’oublions pas que le Coran concerne uniquement la relation de l’homme à Dieu, à l’exclusion de toute autre autorité. Le Coran ne dit rien sur l’autorité politique et sur les moyens de gouverner.
Mais par une incroyable supercherie, le hadith qui dit que l’islam est à la fois temporel et spirituel (dunia wa deen) a été exploité pour soumettre le Coran au gouvernement absolu. Si l’islam avait demandé le pouvoir, le Prophète aurait dit que l’islam était un Etat et une religion. Or il ne l’a pas dit.
Ce qui distingue l’islam, c’est d’être une religion qui ne s’est pas institutionnalisée ; à la différence du christianisme, elle n’est pas équipée d’une Eglise. L’Eglise islamique est en fait l’État islamique : c’est l’État qui inventa la soi-disant "plus haute autorité religieuse" et c’est la tête de l’État qui nomme l’homme qui occupe cette fonction ; c’est encore l’État qui construit les grandes mosquées et qui supervise l’éducation religieuse et c’est toujours l’État qui exerce la censure dans tous les champs de la culture et se considère comme gardien de la tradition et de la moralité (sic).
Donc, s’il y a émergence d’un terrorisme islamique, c’est du côté de l’État, et uniquement du côté de l’État, qu’il faut en chercher les raisons.
En (judicieuse) conclusion :
Ainsi, les Arabes subissent trois impostures depuis la nuit des temps : l’isolement du peuple du champ de la pensée par le confinement de l’écriture dans une langue classique ; un pouvoir d’État qui a usurpé cet attribut de Dieu d’être celui qui "a le savoir de l’interprétation finale" ; la soumission à l’imposture de ce père imaginaire.
La structure du pouvoir est inchangée dans le monde arabe depuis des siècles : un seul homme gouverne par la répression et la corruption. Ainsi, l’on peut expliquer ce maintien d’un régime théocratique depuis des siècles les siècles par la perpétuation de l’infantilisation des peuples à travers une comparaison fallacieuse et impudente entre l’Un et le père. Et cet État rusé a continué à monopoliser le prestige impressionnant de l’écriture : aucun dirigeant du Moyen-Orient n’acceptera jamais l’enseignement de l’arabe vernaculaire à l’école comme une langue tout aussi "grammaticale" que l’arabe classique
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