03 octobre 2007

Les langues de P...

La société tunisienne souffre depuis longtemps d’un mal pernicieux: la médisance et les ragots. Difficile de trouver aujourd’hui un tunisien qui n’ait pas été victime de cette pratique si répandue, ou qui n’ait pas consommé ou colporté des « dossiers » (doussiet), c'est-à-dire des histoires souvent d’ordre personnel et privé sur d’autres personnes.

« Ettakti3 ouettariich » est le terme souvent employé pour désigner cette pratique. Traduit littéralement, cela veut dire « déchirer et déplumer ». Je trouve que l’image transmise par cette expression colle parfaitement aux faits. Car les conséquences de ces commérages peuvent être terribles : vies et réputation détruites, image salie, faillites sociale et économique, voire même dans certains cas des divorces douloureux. D’autant plus que la propension des tunisiens à croire à ces histoires, qu’elles soient justifiées ou pas, est très grande. Le tunisien raffole des détails croustillants, des histoires honteuses et embarrassantes, et ce qu’il aime le plus, c’est d’y amener sa contribution en commentant en long et large les faits colportés et en les pimentant grâce à un grand talent d’imagination et une bonne dose de mauvaise foi. Ainsi par exemple, une femme qu’on apercevrait en présence d’un homme qui n’est ni son mari ni son parent pourrait très bien passer pour une infidèle, pour ne pas dire pute ; un homme qui réussit dans ses affaires pour malhonnête, pour ne pas dire voleur…

Chez certaines personnes, le colportage et la médisance se limite à un simple vice, une occupation comme une autre, une façon de passer le temps comme si on lisait un magazine people. Chez d’autres personnes, la pratique pourrait prendre des proportions plus grandes pour devenir un véritable mode de vie. Il y a toujours dans une famille, dans un lieu de travail ou dans un groupe d’amis une ou deux personnes qui sont là pour remplir cette fonction, celle de parler des autres en leur attribuant toutes sortes de faits inventés juste pour exister et amuser la galerie.

Comment expliquer un tel comportement, qui existe indépendamment du milieu socioculturel et du niveau d’instruction ? Par la psychiatrie ! Je pense en effet que cette pratique cache une agressivité enfouie dans chaque personne qui s’y adonne. La méchanceté et la violence envers les autres est pour les racontars un véritable exutoire. Ca leur permet de se défouler, d’extérioriser leurs propres angoisses en s’acharnant sur les autres. Ca leur permet aussi d’exister au sein d’une société ou d’un groupe qui se délecte de leurs histoires. Ces gens sont tous simplement malades, seuls et dépressifs…

Les histoires qu’on répète ou qu’on invente sur les autres peuvent sembler banales, mais elles peuvent heurter et faire très mal aux victimes. Les colporteurs ne mesurent jamais les conséquences de leurs actes à l’avance, mais essayeront de se justifier par tous les moyens, notamment en niant tous faits, s’ils sont démasqués. Donc, en plus d’être malades, ils sont souvent lâches…

A tous les racontars qui se reconnaîtront : trouvez-vous une autre occupation, ou encore mieux, allez voir un psychiatre, cela vaudra mieux pour toute la société…

5 commentaires:

Anonyme a dit…

"la tadhkor akhaka bima yakrah" ... je suis tout à fait d'accord sur le fait que pafois, nous pensons que ce que nous répétons sur telle ou telle personne est banal, alors que cette personne n'apprécierait pas de vous entendre répéter ce que tu as vu ou ce qu'elle t'a racontée. Mettons nous à la place des autres?? on apprécierait? je ne pense pas... ceci dit, nous ne pouvons nous retenir.; c'est devenu une pratique courante... c'est comme respirer. Si on va aller prendre un café avec des amis (et spécialement les amies), c'est qu'on va parler de foulena elli rajelha yenbez fiha devant les autres, et foulen elli martou to7kom fih, w hedhika el m9ar3cdha welli on comprend pourquoi elle s'est pas mariée jusqu'à maintenant... et ainsi de suite.. comme quoi on rigole.. ou plaisante.. mais c'est vrai que c'est de mauvaises plaisanteries... même si nous ne disons pas les choses avec mauvaise fois.
Rabbi ya7fadhna mel ta9ti3 wettaryich... et BRAVO pour ce message!!!

Senem a dit…

J'ai beaucoup apprécié ton post. Je suis en Tunisie depuis bientôt deux ans et c'est vrai que c'est une des facettes de la socité à laquelle je n'arrive pas à me faire.
Je ne suis pas du tout habituée à ça et du coup, je réfléchi beaucoup avant de poser un acte.
C'est le style de choses qui me fait enrager. Détruire la vie d'un autre...comment est-ce possible?
Je vais bientôt être psy mais c'est le genre de comportement que je n'arrive pas à analyser objectivement à cause de ma colère.

Merci encore.

Selim a dit…

@Wafa: Comme tu le dis si bien, c'est devenu une pratique courante...et c'est justement celà qui est énervant! Et les exemples que tu cites sont très véridiques...Seulement, il y a des limites aux plaisanteries, et elles sont malheureusement souvent dépassées...

@Senem: Il est difficile de se faire à cette facette de la société tunisienne! J'ai du mal à y parvenir moi-même...Mais on peut toutefois se protégéer, en se méfiant et en restant très discret. Au risque de s'exclure de la société...Ca serait un excellent sujet à analyser dans le cadre de ta spécialité, je t'y invite! Merci du passage!

Anonyme a dit…

J'en parlais justement la semaine dernière. Mais certains commentateurs avaient trouvé que j'exagérais:

إختصاص التوانسة

La semaine dernière, j'avais été victime d'un con que je n'ai jamais vu de ma vie et qui est allé raconter des conneries à mon beau-frère, qui s'est empressé de les raconter à son tour à mon mari.

Heureusement que je n'étais pas seule lors de l'incident relaté et que des témoins pouvaient confirmer ma version des faits et prouver que le sale con n'avait fait qu'inventer.

Il a reconnu par la suite qu'il m'avait vu de loin et qu'il n'avait fait que déduire......

De quel droit? Je me demande....

Selim a dit…

@Massir: j'ai lu ton post, je comprend que certains commentateurs soient ennuyés par la critique, mais je pense que ce n'est qu'en critiquant qu'on peut avancer...
L'épisode qui t'est arrivé est si classique, ca m'est aussi déjà arrivé