13 novembre 2011

Tunisie : et après les élections?




Fini le temps des revendications de liberté, de dignité et de justice qui ont marqué la période post 14 Janvier.  L’assemblée constituante  fraîchement élue et la configuration de la nouvelle scène politique qui en résulte donne un visage neuf à la révolution tunisienne. Les islamistes, les socialistes nationalistes et les populistes des listes "indépendantes" Al Aridha, qui ont raflé les voix des couches populaires de l’intérieur du pays, sont aujourd’hui les mieux représentés au sein de l’assemblée. Le temps des revendications d’ordre culturel et identitaires commence à prendre ses marques.

Tout en s’éloignant des causes profondes qui ont donné naissance à la révolution tunisienne, le débat public s’est focalisé depuis le début de la campagne électorale  sur la question de savoir si le parti islamiste, qui représente la première force politique du pays, est capable de renoncer à ses fondamentaux ultra-conservateurs ;  de ne pas céder à la tentation de domination que peut procurer l’exercice du pouvoir à tout apprenti- dirigeant dans un environnement peu habitué au pluralisme politique ; et à la tentation de remise en cause des acquis du Bouguibisme du point de vue de l’émancipation de la femme et du code du statut personnel.

L’entrée en force dans la scène politique des islamistes et des représentants des classes populaires a provoqué d’abord  la stupeur, ensuite la méfiance et le scepticisme d’une partie de la bourgeoisie et des couches moyennes urbaines et occidentalisées. Ni les discours séducteurs des responsables d’Ennahdha, ni leur propension à négocier la transition ne rassurent encore. La greffe n'a pas encore complètement pris. Toute l’attention des observateurs est portée à ce parti, à ses premiers pas dans l’exercice du pouvoir et à la moindre de ses déclarations. Au point où les blessés de la révolution doivent faire une grève de la faim et en appeler au soutien d’associations, nawaat et le collectif Nsitni principalement, pour faire entendre leurs revendications et être pris en charge par l’Etat, ce qui aurait dû être une priorité pourtant! 

Sans nier l’importance de la question de la sécularisation de l’Etat et celle des libertés individuelles, il y en a d’autres qu’il ne faudrait pas négliger et sous-estimer. Les derniers chiffres du chômage viennent rappeler l’urgence d’une réforme sociale, économique et éducative.  Le résultat même des élections est révélateur de telles urgences. Comment comprendre toutes les voix accordées au populiste  Hechmi Hamdi?  A-t-on pris le temps de bien comprendre la teneur du message envoyé par les classes marginalisées et exclues de la société qui ont été séduites par ses promesses fantaisistes pour de meilleures conditions de vie ? Au-delà de la question de la manipulation des esprits, n’est-ce pas aussi  un appel à l’aide de leur part, à plus de considération? Quel devrait être le nouveau rôle de l’Etat auprès de ces populations ? 

En attendant les propositions du futur gouvernement à cette dernière question, une lecture rapide des résultats des élections laisse croire que beaucoup de tunisiens ont donné leur voix à Ennahdha pour une société plus ordonnée, plus éthique et moins corrompue ; d’autres ont voté socialiste pour préserver les droits déjà acquis et en acquérir de nouveaux; d’autres encore ont choisi les listes d’Al Aridha dans l’espoir de sortir de leur état de marginalité sociale. Mais quelles que soient les raisons apparentes de ces choix différents, les tunisiens ont dans leur majorité voté pour un objectif de fond partagé par tous : l’amélioration de leur vie au quotidien et la garantie de tous les droits : qu’ils soient civils, politiques, économiques et sociaux.

La question de l’islamisme occupe encore trop d’espace et continue de faire l’objet de polémiques qui risquent d’hypothéquer les réformes politiques, économiques et sociales les plus urgentes. Ennahdha, fort de ses 41% des sièges de l'assemblée mais sans pour autant bénéficier d’une majorité absolue, sera obligé de négocier ses réformes et de les réussir pour conserver sa majorité. Ennahdha n’est pas en position hégémonique, il n’est pas tout à fait libre de ses actes et dans ses orientations, et il ne veut surtout pas gouverner seul. Il ne faudrait ni diaboliser ce parti, ni s’aligner aveuglement sur ses positions en lui accordant une confiance totale. Ce parti a encore ses preuves à faire, et ceci est valable pour toutes les autres formations politiques.  

La révolution ne sera pas achevée tant que les demandes révolutionnaires ne seront pas satisfaites. Mais nous venons de franchir un grand pas : nous avons pour une fois élu démocratiquement nos nouveaux gouvernants. A nous de rappeler régulièrement ces élus à leurs obligations pour qu’ils ne dévient pas de leur mission première : répondre aux attentes de la majorité plutôt que de servir les seuls intérêts des minorités qu’ils représentent. 

Nos dirigeants seront ce que nous voudrons qu'ils soient.   

Source cartes électorales : ici

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