17 février 2009

L'urgence de rétablir le modèle social tunisien


"L'éducation pour tous" comme ascenseur social qui associe activement les femmes en les émancipant; et un développement économique équilibré entre les régions du pays : tel est le modèle social tunisien tel qu'il a toujours été appliqué et tel qu'on nous l'a toujours appris. Tous les journaux tunisiens ne cessent de nous le rappeler…

Aujourd'hui, ce modèle ne fonctionne plus.

L'ascenseur social est en panne : le chômage ou la précarité de l'emploi à la fin des études font que l'éducation ne représente plus le moyen privilégié pour la promotion sociale. Environ 100 000 tunisiens diplômés du supérieur sont au chômage. Et quand l'ascenseur est en panne, on prend généralement les escaliers : la corruption, la débrouille, ou bien l'immigration, sont les voix empruntées par certains tunisiens pour y arriver autrement, parfois au risque de leur vie dans la dernière alternative...Les femmes sont quant à elles plus touchées par le chômage que les hommes. 57% des diplômés sont des femmes. Pourtant, 38% des femmes sont employées contre 51% des hommes. Et quand elles accèdent à l'emploi, elles sont à compétences égales moins bien payées que les hommes.

Quant au développement régional, un constat s’impose : toute la moitié-ouest de la Tunisie est aujourd'hui sous développée comparé au littoral qui assure plus de 80% de la production économique annuelle avec 60% de la population installée sur près de 17% du territoire. Le Sud (15% de la population, 58% du territoire) et l'Ouest (25% de la population, 25% du territoire) réalisent le reste, c'est-à-dire un peu moins du cinquième. Quand le chômage évolue entre 5 et 10% dans les régions côtières (la partie verte de la carte), il tourne autour de 16 à 21% sur la moitié ouest (la partie rouge). Au point que toute une région de l'Ouest, celle de Gafsa, a implosé en 2008, les habitants ne supportant plus leurs conditions économiques et sociales qui ne cessent de se détériorer.

Refonder notre modèle social est devenu une urgence, d’autant plus que la crise économique actuelle ne fait qu’empirer la situation. Concernant le chômage des diplômés, une des premières réformes qui s’imposent est le changement radical du système d’orientation des bacheliers : ne plus orienter les étudiants selon les places disponibles dans les universités, mais plutôt selon les débouchés disponibles sur le marché du travail. Il faut revaloriser les diplômes en rehaussant le niveau des diplômés, qui est plus qu’insuffisant aujourd’hui. Autrement, les entreprises ne seront pas incitées à recruter. Familiariser l’étudiant avec le monde de l’entreprise dès ses premières années d’études est indispensable pour éviter que les étudiants ne choisissent des filières qui ne leur conviennent pas et pour favoriser leur insertion dans le monde professionnel. En résumé : rapprocher davantage la demande de l’offre, agir en amont des études en améliorant l’orientation, plutôt qu'après la formation en accompagnant les chômeurs de longue durée dans une insertion souvent chaotique. Et faire en sorte que l’étudiant choisisse sa formation au lieu de la subir !

Le rééquilibrage du développement économique entre les régions constitue la deuxième urgence. Le Nord-ouest de la Tunisie, qui est une région historiquement agricole, et le Sud-ouest, une région historiquement minière, souffrent d’une part, d’un manque d’équipements et d’infrastructures et d’autre part, d’un manque de diversification des activités économiques. Avec les progrès technologiques réalisés dans les deux branches agricoles et minières, la demande en main d’œuvre a fortement chuté ces dernières années, ne laissant aux habitants des régions concernées que le choix du chômage, de la migration ou de l’immigration.

L’effondrement du modèle social sur lequel le pays a été bâti est déstabilisant pour toute la société. Les conséquences ont commencé à se faire ressentir avec les évènements de Redeyef, et la réponse de l’Etat a été plus que décevante et frustrante pour tous. Il ne faut pas que le sentiment de désespoir que peuvent ressentir les gens qui souffrent de cette situation ne se transforme en sentiment d’injustice. Car cela justifierait tous les extrémismes.

Source image: Consultation Nationale sur l'Emploi.

5 commentaires:

Sarah Ben Hamadi a dit…

refonder notre modèle social est plus qu'une urgence aujourd'hui.. je trouve ton analyse excellente mais j'ai bien peur qu'elle tombe dans l'oreille d'un sourd...

Zizou From Djerba a dit…

Je ne pense pas que la situation est aussi noire que vous la decrivez. La reponse du gouvernement au niveau economique pour les evenements de Redeyef est bien et elle est a encourager (pas la reponse policiere).

Un debut de reponse peut etre trouve dans:

-La privatisation de l'education (ce qui ne veux pas dire la rendre payante pour l'etudiant).
- L'encouragement a la mobilite interne et soutien de ceux qui quittent leurs regions pour la recherche d'un emploi.

- Ameliorer l'offre de formation et en ecoles de langue dans les defavorises

Selim a dit…

@ Sarah: Je pense que tout le monde est plus ou moins conscient de cela, qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne plus. Personne ne peut rester sourd.
Merci

@Zied: Il est vrai que des efforts ont été déployés pour booster l'économie régionale de Gafsa sont positifs. Mais il ne faut pas que ça se limite à cette seule région, comme réponse ponctuelle au conflit qu'il y a eu. D'autres régions en ont autant besoin.
@+

عياش مالمرسى a dit…

Privatiser l'éducation? ça sera à coup sûr un coup de grâce porté à cette bête agonisante. Au contraire, le plus grand mal de l'éducation auourd'hui c'est sa focalisation sur le marché du travail. On oublie que l'école c'est avant tout un don de savoir.

Sarah Ben Hamadi a dit…

@Carpe diem: il ne suffit pas d'être conscient de ça, mais il faut agir, et c'est là que cela est compliqué, pour la zone de Gafsa, des choses ont été améliorées, mais comme tu l'as dit il n'y a pas que cette région qui souffre, et puis il ne faut pas attendre une autre grève et d'autres manifestation avec de telles ampleurs que celles de Gafsa pour faire bouger les choses