[AFP/Fethi Belaid] |
Un débat faussé
Plus le temps passe, plus le gouvernement semble dans l’incapacité
de faire face aux
difficultés qu’il rencontre pour redresser la situation économique et sociale du pays.
Fortement critiqué pour son laisser-faire sur la question des salafistes, pour
son incompétence sur le dossier de l’emploi, ou encore pour sa mauvaise gestion
des conséquences des intempéries qui ont touché récemment le Nord-Ouest du
pays, le gouvernement refuse la critique, se replie sur lui-même, crie au complot et fait diversion. Des signes d’agitation qui ne font que traduire une situation d'échec et d'incompétence. L'absence de Jebali lors des questions aux gouvernement renforce cette impression.
S’éloignant des vrais
problèmes du pays et des vrais
enjeux de la révolution, le débat est déplacé sur d’autres sujets de nature
à déchainer les passions et à diviser l’opinion, comme la religion ou l’identité.
On veut nous faire croire qu’aujourd’hui notre « identité arabo-musulmane » est en danger et que la gauche « athée » et « occidentalisée »
en est la cause principale.
Cette gauche serait
d’ailleurs en passe de confisquer le pouvoir par la force, selon les dernières déclarations sans preuves des ministres de Jebali. Ce coup d’Etat imminent serait bien entendu appuyé
de l’étranger et fomenté avec le mouvement syndical, considéré comme perverti
par les idées de la gauche et manipulé
par les mouvements destouriens contre-révolutionnaires. Opposition et médias
affiliés (c'est à dire 90% des médias tunisiens selon le chef du gouvernement!) représenteraient le plus grand danger pour le pays, et le gouvernement, qui est « légitime » faut-il le rappeler, en serait la première victime. On accuse donc « les
ennemis du gouvernement » d’être derrière la baisse des investissements, derrière l’absence
de touristes, derrière la colère des marginalisés, etc. Une
stratégie qui permet de détourner le débat des vraies priorités, de diviser l'opinion, et qui consiste à répondre par une démagogie passionnelle à des problèmes
qui appellent à la plus grande rationalité et responsabilité !
Le débat polémique basé sur la religion et entretenu volontairement
par certains responsables d’Ennahdha montre aussi qu’une frange de ce mouvement
n’a pas renoncé à son projet originel d’islamisation de l’Etat, des
lois et de la société. La démocratie semble représenter pour eux juste un moyen légal
pour réaliser ce projet, plutôt qu’un esprit de gouvernance favorisant les
libertés, l’émancipation de l’individu, le pluralisme politique, l’alternance au pouvoir, et où nulle loi, quelque sacrée qu'elle soit, n'est supérieure à la loi de la République.
Effet direct de cette diversion : alors qu’avant les
élections, les partis affichaient un consensus large autour de l’article 1 de la première constitution, évacuant par l'occasion le débat identitaire, les élus se retrouvent aujourd’hui à discuter, et ce dès le préambule du texte fondamental, de l’inscription
de la Charia dans la nouvelle constitution. Une constitution censée s’inspirer avant tout des principes
de liberté, de dignité, de travail, de justice...
Sur l’opposition tu ne pourras compter ?
De leur part, les partis d’opposition tendent à se regrouper en coalitions pour augmenter leur poids électoral, dans une logique purement quantitative, et sans veiller au préalable à se réformer et à chercher un minimum de cohérence. Fragilisés par des démissions et des guéguerres internes, ces partis n'arrivent pas à renforcer leurs bases militantes pour mieux promouvoir
leurs idées, et convaincre les tunisiens du bien-fondé de leurs programmes
politiques. La plupart d’entre eux n’ont toujours pas renouvelé leurs dirigeants,
ni passé le stade de « partis de personnalités », basé sur le culte de la personne fondatrice du parti. Les conflits de personnes et d’égos qui les
fragilisent ne cèderont la place aux débats d’idées que lorsque ces
partis décideront enfin de faire leurs propres révolutions internes, et réfléchiront
sérieusement à de vrais projets politiques qui rassemblent plutôt que divisent,
et qui donnent du sens à notre avenir.
Plutôt que de s’adresser aux populations et se rapprocher
d’elles pour les reconquérir, on a plutôt le sentiment que l’opposition cherche
avant tout à convaincre la majorité de son existence, en reproduisant des réflexes
d’opposition pré-révolutionnaires. Par son boycott de la séance des questions au
gouvernement pour temps de parole insuffisant, l’opposition a préféré marquer
sa présence en brillant par son absence, plutôt que de participer au débat par des
contre- propositions convaincantes et efficaces qui lui feraient gagner des points dans l'opinion.
Pire encore, certains de ces partis d’opposition n’hésitent
pas à mimer la stratégie des partis au pouvoir dans l’espoir d’égaler leur
performance électorale, en ayant notamment recours au registre islamique pour
légitimer leur action aux yeux des masses. L’UPL qui appelle à inscrire la
Charia dans la constitution ou le PDP qui défend l’inscription de la référence
aux valeurs islamiques dans le préambule de la constitution, après avoir dénoncé
pendant toute la campagne électorale le projet islamiste d’Ennahdha, sont de
parfaits exemples de cet opportunisme politique qui décrédibilise l’opposition,
brouille son image et rend incrédule son message..