19 février 2011

Tunisie : montée de l'islamisme et inquiétudes


On assiste en Tunisie à une montée du militantisme islamiste, une situation que le pays n'avait pas connu depuis début des années 90 . Avec deux tendances qui émergent : une frange radicale et surtout présente sur le terrain et une autre qui se veut modérée et qui est plutôt visible dans les médias.


La semaine a été marquée par une série d'évènements marquants : sans parler de l'activisme de certains groupes dans les mosquées et dans les universités à travers le pays, une manifestation a eu lieu devant une synagogue de Tunis en présence de sympathisants de Hizb Ettahrir, un parti qui appelle à transformer la Tunisie en califat islamique; 3 "maisons closes" fermées à Sousse, Kairouan et Beja et celle de Tunis ciblée par "des groupes d'islamistes"; des bars et des restaurants servant de l'alcool ont aussi été empêchés d'activité. Certains pensent que des caciques de l'ancien régime peuvent se cacher derrière ces tentatives de déstabilisation.
Tous ces évènements inquiètent en tous cas une partie de la société tunisienne qui appelle à manifester aujourd'hui à Tunis contre l'extrémisme religieux et pour la sauvegarde des libertés.

Nous assistons en parallèle à une campagne de communication vigoureuse de la part du chef d'Ennahdha Rached Ghanouchi, qui ne manque pas une occasion pour promouvoir un islam de juste milieu et offrir à qui veut bien l'entendre
des gages de bonne conduite. Son discours, bien que souvent ambigu, se veut volontairement plus consensuel que celui de Hizb Ettahrir : Ghannouchi plaide pour "l'enracinement des principes démocratiques dans la culture islamique", à la manière Turque ou marocaine. Son objectif : séduire le maximum de voix conservatrices, affirmer le caractère pacifiste de son parti et garantir sa place dans le jeu politique en acceptant les règles du jeu démocratique. Pour mieux se dissocier des franges radicales, le parti d'Ennahdha vient d'ailleurs de condamner le meurtre du prêtre polonais en appelant les tunisiens à ne pas mettre "tous les islamistes dans le même rang".

Même si la tentation est forte de considérer les militants islamistes comme un bloc monolithique et homogène, on peut constater qu'il y a aujourd'hui plusieurs tendances au sein de ce groupe. Le virage centriste du discours de Ghanouchi n'est d'ailleurs pas récent, il date au moins de 2007 quand il s'est clairement positionné pour le compromis avec le régime de Ben Ali en plaidant pour un "Makhzen" à la tunisienne avec un président, Ben Ali en l'occurrence, maintenu à vie et un parlement élu démocratiquement, à condition que le parti Ennahdha y trouve sa place. C'était lors du 8 ème congrès d'Ennahdha, où il a été réélu à "seulement" 60% des voix par les adhérents de son parti, ce qui laisse penser que ce positionnement lui a valu la désaffection de la frange la plus extrémiste des cadres, adhérents et sympathisants d'Ennahdha. A l'époque, même les partis d'opposition qui appelaient à la résistance démocratique avec la participation d'Ennahdha, se sont inquiété de cette main tendue à la dictature et de cette prise de distance avec les principes de l'opposition démocratique frontale et sans compromis auxquels il adhérait jusque là! Cette tentative de normalisation est aussi un exemple parlant du "double langage" souvent attribué à Ghannouchi par ses détracteurs.

Le parti Ennahdha et son fondateur se trouveraient aujourd'hui en concurrence avec d'autres groupes plus proches du salafisme (les
évènements de Soliman nous ont récemment rappelé leur existence), une situation qui peut à la fois les servir et leur nuire. En condamnant les manifestations violentes de cette semaine, Ghannouchi donne à son parti un vernis pacifiste et modéré qui est de nature à rassurer l'opinion et à lui bénéficier sur le plan politique. Mais tant que Ghanouchi et son parti ne définissent pas clairement la place qu'ils souhaitent attribuer à la religion dans le système politique qu'ils pronnent, tant qu'ils n'ont pas renouvelé leur pensée politique et qu'ils refusent toujours d'être transparents sur les frontières réelles de leur pensée, ils ne pourront pas lever les doutes légitimes et qui subsistent toujours sur leurs intentions et sur le caractère pacifiste et démocratique de leur parti.

Entre une véritable montée de l'islamisme et une probable manipulation de la part des nostalgiques de l'ancien régime qui veulent brandir le danger de l'intégrisme pour saper la transition démocratique, la situation reste encore confuse en Tunisie et il est trop tôt pour se prononcer. Il est normal que dans un contexte de liberté retrouvée, le militantisme islamique soit plus visible et se fasse entendre dans toutes ses tendances. C'est le jeu de la démocratie. Ce qui n'est pas acceptable, c'est que des minorités veuillent à tout prix imposer leur vision et leur conception de la vie en commun à une majorité silencieuse et plutôt inquiète pour ses acquis. Et encore moins par le recours à la violence et à l'atteinte aux libertés.

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Mise à jour au 21.02 : "Dans un communiqué, le ministère de l'Intérieur annonce que «la brigade criminelle a découvert celui qui a commis le meurtre du prêtre polonais», ajoutant qu'il s'agit de Chokri Ben Mustapha Bel-Sadek El-Mestiri, de nationalité tunisienne, né le 16 juin 1967, un menuisier» qui travaillait dans la même école que le pasteur assassiné."

5 commentaires:

tunisiansailor a dit…

Oui mais quoi faire pour contourner ces mouvements et protéger notre style de vie tunisien qui a fondé sur la tolérance???
Comment allons nous ne protéger d'eux? je suis une femme et j'ai suis trop inquiète?

mourad a dit…

pour le pretre polonais de La Manouba, j'ai entendu ce matin un autre son de cloche...il parait d'apres les gens du quartier...que ce pretre serait...pedophile...et ce crime serait plutot crapuleux.
il faut attendre...rappelez vous les moines de tibhirine en algerie...ce sont, finalement, les services speciaux de l'armee algerienne qui les ont tues et non les gens du fis

simple tunisien a dit…

Puisque tu ne vas pas voter Islam, c'est quoi ton problème ?

Tu leur reproches ce que l'on est en droit de te reprocher à toi-aussi et à ceux qui veulents tout comme toi imposer leur idée de la tunisie .

Si les islamistes sont minoritaies, dans ce cas le problème est résolu .Si au contraire le peuple en décide autrement, tu n'as pas à leur demander des gages en tant que minoritaire .
C'est la règle dans une démocratie .

Pour l'instant ce que je constate c'est une grande intolérance de la part des laïques qui se croient encore sous l'ère Ben Ali ou ils avaient le soutien de ce président puisqu'ils partageaient la même conception de la démocratie en imposant leur dicktat sans se préoccuper du choix du peuple.

Selim a dit…

@tunisiansailor : Je ne pense pas qu'il faille s'inquiéter autant, il faut défendre comme tu le dis une Tunisie plurielle et tolérante.

@mourad : espérons que l'enquête en cours révèle les vrais coupables. A ce stade, nous ne sommes qu'au stade des hypothèses.

@simple tunisien : permets-moi de clarifier mon opinion : je défends une scène politique qui rassemble toutes les tendances, y compris les islamistes . Il ne s'agit pas de voter "islam" comme tu le dis, ca serait confondre une religion qui est la mienne et que je respecte, et un courant politique qui fonde son idéologie sur l'Islam.
Je ne reproche pas, mais constate que le discours du Chef d'Ennahdha n'est toujours pas assez clair sur certains points sensibles liées à la place du religieux dans la politique. Et je ne prétends pas imposer mes idées à qui que ce soit, j'exprime mon opinion dans mon blog.
Notre rôle en tant que citoyen, c'est justement de demander des gages à tous les partis politiques, qu'ils soient majoritaires ou minoritaires. C'est cela la vraie règle de la démocratie.
Et enfin, tout comme toi, je constate une forme d'extrémisme chez certains militants de la laïcité, qui ont la fâcheuse tendance à diaboliser les partis religieux.

SAF 403 a dit…

@Simple Tunisien
La démocratie ce n'est pas la majorité qui écrase la minorité...