Une onde de choc secoue une bonne partie de la Tunisie depuis les premières tentatives de suicide de jeunes chômeurs survenues à Sidibouzid il y a près de deux semaines. Alors que les émeutes de la faim à redeyef se sont limitées au gouvernorat de Gafsa, on assiste aujourd’hui à un effet boule de « feu » unique en son genre dans un pays étroitement contrôlé par la police et l’armée, et où les soulèvements populaires sont rares. Par effet de contagion, le sentiment de solidarité aux gens de Sidibouzid a traversé le pays.
Il y a plusieurs raisons à cela. Pour n’en citer que quelques unes : le symbole fort d’un geste violent et choquant – le suicide comme effet direct du chômage-, le rôle fédérateur joué par les syndicats, le courage de beaucoup de tunisiens qui ont osé affronter la répression policière dans la rue, et l’effort déployé par les internautes sur les réseaux de partage pour faire circuler l’information et créer le buzz malgré la censure.
Ces manifestations, qui ne s’estompent pas malgré la répression et le blackout des médias traditionnels, sont riches en enseignements.
Nous constatons d’abord que la peur du peuple tunisien a une limite, celle de la dignité perdue. La dignité peut-elle résister au chômage de longue durée, à la pauvreté, à l’exclusion sociale et aux gouvernants corrompus ?
Nous avons aussi une nouvelle fois la preuve que les solutions sécuritaires et la violence de la réponse du pouvoir à chaque soulèvement populaire ont un effet quasi-nul sur l’évolution de la situation. Quelque soient les promesses d’investissements faites par le gouvernement, la situation en région ne s’améliorera pas sans solutions durables, réfléchies et discutées avec les populations concernées.
Le corps syndical, et surtout sa base, se réaffirme au juste moment comme une force vive de la société et de la politique tunisienne. Il fait partie des rares parties prenantes au dialogue social capable de relayer des messages et de défendre les droits. Quant aux médias obéissants, ils ont encore une fois raté l’occasion de se racheter une crédibilité…
Le black-out médiatique, la désinformation et la censure continuent à montrer leurs limites. On n’a jamais été aussi bien renseigné sur ce qui se passe. Le partage viral et instantané des photos, vidéos et témoignages des manifestants sur Facebook et twitter a été intensif depuis le début du mouvement. La frontière entre le réel et le virtuel n’a jamais été aussi étroite, rendant possible aux tunisiens en Amérique et au Canada de suivre en direct le cours des choses, grâce aux informations qui remontent « du terrain ».
Rendons hommage enfin à tous ceux qui participent, de près ou de loin, à marquer ces jours dans l’histoire de la Tunisie. Car il s’agit véritablement d’une étape franchie, celle qui fait tomber les masques et qui réunit, une nouvelle fois depuis bien longtemps, les tunisiens de toutes régions. C'est déjà cela de gagné..