"(...) Des écoliers à qui on avait demandé de représenter un symbole de leur pays à la place de la statue d'Ibn Khaldoun (le père de la sociologie), ont dessiné une fourgonnette de police.
Ces fameuses baga, d'un bleu sinistre, sillonnent la capitale en tous sens. C'est un soir de mai parmi d'autres. Un véhicule de police fonce à tombeau ouvert en direction de la cité Ennasser, un de ces quartiers nouvellement construits qui ont bouleversé le coeur de Tunis. Ennasser n'est qu'un vaste chantier avec ses milliers de logements en construction. C'est l'eldorado des Mramajia, journaliers venus des régions les plus déshéritées de la Tunisie en quête d'un boulot. Pour surprendre ces clandestins, la fourgonnette tourne brusquement dans une ruelle proche d'un immense chantier. La foule s'écarte. La baga déverse policiers et chiens loups pour boucler la zone.
Facilement repérable avec son sac sur l'épaule et ses bottes de chantier, un jeune homme descend le grand boulevard d'Ennasser sans se méfier. Ce n'est qu'en butant sur deux policiers qu'il réalise le piège. "Papiers !" : le malheureux fouille frénétiquement ses poches en quête d'une pièce d'identité. La plupart des victimes de ces contrôles ne savent même plus si elles sont en règle. Les policiers regardent rapidement les papiers, à supposer qu'ils sachent lire, avant de les confisquer. Abasourdi, le jeune homme reste là, attendant docilement que les policiers appréhendent d'autres personnes.
En quelques minutes, un groupe d'hommes complètement affolés se forme. D'un côté de la rue à l'autre, ils crient de prévenir un tel ou un tel qu'ils ont été arrêtés et qu'on fasse quelque chose pour les faire relâcher. Mais leurs compagnons encore libres entendent-ils seulement leur message, trop heureux de pouvoir filer loin de la zone dangereuse ?
Les raflés seront alignés le long de la palissade, puis bourrés à coups de pied et coups de poing dans la baga. Sans ménagement, le chauffeur referme la porte et vérifie qu'elle est bien verrouillée. Direction Bouchoucha, le centre de détention. Là, la police prendra son temps pour faire le tri. Les uns seront envoyés au service militaire, d'autres seront condamnés pour vagabondage et refoulés vers leurs régions. Seuls les plus chanceux, parce qu'ils ont un parent ou un employeur bien placé, seront relâchés. Dans ce climat de contrôles permanents, qui connaît encore ses droits ?" par Denise Williams, Taoufik Ben Brik
Ces fameuses baga, d'un bleu sinistre, sillonnent la capitale en tous sens. C'est un soir de mai parmi d'autres. Un véhicule de police fonce à tombeau ouvert en direction de la cité Ennasser, un de ces quartiers nouvellement construits qui ont bouleversé le coeur de Tunis. Ennasser n'est qu'un vaste chantier avec ses milliers de logements en construction. C'est l'eldorado des Mramajia, journaliers venus des régions les plus déshéritées de la Tunisie en quête d'un boulot. Pour surprendre ces clandestins, la fourgonnette tourne brusquement dans une ruelle proche d'un immense chantier. La foule s'écarte. La baga déverse policiers et chiens loups pour boucler la zone.
Facilement repérable avec son sac sur l'épaule et ses bottes de chantier, un jeune homme descend le grand boulevard d'Ennasser sans se méfier. Ce n'est qu'en butant sur deux policiers qu'il réalise le piège. "Papiers !" : le malheureux fouille frénétiquement ses poches en quête d'une pièce d'identité. La plupart des victimes de ces contrôles ne savent même plus si elles sont en règle. Les policiers regardent rapidement les papiers, à supposer qu'ils sachent lire, avant de les confisquer. Abasourdi, le jeune homme reste là, attendant docilement que les policiers appréhendent d'autres personnes.
En quelques minutes, un groupe d'hommes complètement affolés se forme. D'un côté de la rue à l'autre, ils crient de prévenir un tel ou un tel qu'ils ont été arrêtés et qu'on fasse quelque chose pour les faire relâcher. Mais leurs compagnons encore libres entendent-ils seulement leur message, trop heureux de pouvoir filer loin de la zone dangereuse ?
Les raflés seront alignés le long de la palissade, puis bourrés à coups de pied et coups de poing dans la baga. Sans ménagement, le chauffeur referme la porte et vérifie qu'elle est bien verrouillée. Direction Bouchoucha, le centre de détention. Là, la police prendra son temps pour faire le tri. Les uns seront envoyés au service militaire, d'autres seront condamnés pour vagabondage et refoulés vers leurs régions. Seuls les plus chanceux, parce qu'ils ont un parent ou un employeur bien placé, seront relâchés. Dans ce climat de contrôles permanents, qui connaît encore ses droits ?" par Denise Williams, Taoufik Ben Brik
On a du mal à croire que ce mode d'interpellation, qui rappelle les pires moments de la seconde guerre mondiale, est aujourd'hui toujours appliqué en Tunisie. Et pourtant, c'est ce qui se passe depuis quelques jours...Est-il concevable qu'une partie de la population doive se cacher et se priver quasiment de liberté de circuler, juste pour échapper à cette opération de nettoyage? Il ne s'agit pas de remettre en question le devoir d'accomplir son "service militaire" dans un pays aussi "paisible" que la Tunisie, mais de poser le problème du recours systématique à la force et à l'arbitraire, même quand il s'agit d'appeler les gens à respecter leurs obligations citoyennes.
"Le service National est synonyme de renforcement de l’intégrité du pays, consolidation du développement du pays et de l'égalité entre les citoyens."
C'est ce qu'on peut lire sur le site de la Défense tunisienne. Celà sonne comme une devise...
Mais faut-il pour atteindre ces objectifs bafouer l'intégrité du citoyen en l'interpellant de force et par surprise dans la rue ou dans des lieux publics? Et ces rafles, dont les premières victimes sont les plus démunis et les moins pistonés, -parmi eux les chômeurs-, ne font au contraire que renforcer les inégalités entre citoyens...
Les services militaires tunisiens se trompent soit de méthode, soit de devise...