On dit de M. Rajhi qu’il a su faire montre de courage et de détermination en purgeant une partie du système sécuritaire Benalien malgré les menaces et les hostilités auxquelles il a dû faire face. Il vient pourtant d’être démis de ses fonctions par le premier ministre pour présider le « Comité Supérieur des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales ». Une belle planque ou un lot de consolation pour un ministre populaire qui a su apaiser les esprits…pour un bref moment du moins.
Car ce remaniement sonne malgré tout comme un aveu d’échec du gouvernement de transition qui peine à rétablir la sécurité dans le pays. Vols, braquages, incivilités, ou encore jets de pierres et attaques contre ministres et ambassadeurs, ces évènements et ces abus, que presse et médias en manque de sensationnalisme ne cessent de relayer et d’amplifier, s’enchainent depuis des semaines ce qui ne rassure pas les tunisiens qui ont placé dans un récent sondage la sécurité au top de leurs priorités !
Ce départ est-il le signe de l’influence toujours intacte des corps de police qui ne comptent pas renoncer aussi facilement à leurs prérogatives ? Ou est-ce peut-être une énième tentative du premier ministre pour rétablir l’ordre en nommant quelqu’un de la maison, un ex-chef de cabinet au même ministère, dans l’espoir qu’il ait plus d’autorité et de facilité à traiter avec une police égarée et nostalgique d’un pouvoir déchu ? Malgré l’importance de ces questions, Caïd-Essebsi n’a pas su – ou voulu ?- y répondre lors de sa dernière intervention télévisuelle, laissant la rumeur enfler et l’opinion se braquer de nouveau contre un gouvernement qui manque de transparence et qui fait de la rétention d’information, ce qui n’est pas sans rappeler d’anciennes pratiques. Sebsi a préféré sombrer dans l’alarmisme sur les questions sécuritaire et économique du pays.
Il est vrai que l’insécurité et le désordre sont des obstacles majeurs pour la reconstruction. Ils repoussent les investissements et les touristes et ravivent la tentation du commandant fort et autoritaire. Ils annulent le débat politique et favorisent les extrêmes. Ils poussent les plus désespérés à risquer leur vie dans les mers agitées…Il est évident aussi que la Tunisie accuse un coup sévère sur le plan économique.
Mais la révolution tunisienne qui a débarrassé le pays de despotes qu’on pensait indéboulonnables, l’a aussi fortement et subitement déstabilisé. De l’asservissement à la libre action, de l’ordre policier à l’insécurité, de la stabilité économique à la stagnation, du statut quo social aux revendications, … ces changements profonds mettent à mal un pays longtemps décrit comme « paisible et serein », mais qui s’est révélé être un véritable volcan en sommeil.
Quoi de plus normal dans ce contexte que de perdre pour un moment ses repères et se sentir en insécurité? Quoi de plus prévisible aussi que de voir l’ancien système résister par tous les moyens ? N’avons-nous pas trop cher payé cette fausse sérénité sous l’ère Ben Ali ? Si la révolution fut rapide, la mutation du pays et de la société va longtemps durer, nous en sommes persuadés aujourd’hui au rythme où les choses avancent. Et cela ne se fera pas sans des sacrifices consentis par tous.
S’il a raison de tirer la sonnette d’alarme sur l’urgence de la relance économique et le rétablissement de l’ordre, le gouvernement de transition pourrait probablement prendre en compte plus sérieusement les attentes de l’opinion en termes de transparence, d’honnêteté et d’information claire et transparente. Ne pouvant pas fonder son action sur une légitimité révolutionnaire qui lui accorderait confiance et crédibilité, les moindres faits et gestes du premier ministre et de son gouvernement continueront à être épiés et commentés par une opinion impatiente, vigilante pour ne pas dire suspicieuse, et capable de faire pression. La posture du chef de gouvernement qui assume ses décisions, impose son autorité et qui n’entend pas partager la prise de décision est une formule obsolète aujourd’hui. Aussi, qualifier le nouveau sit-in prévu à El Kasbah d'action "intolérable" n'est pas de nature à faire retomber les tensions. On ne peut plus gouverner la Tunisie comme on l’a fait ces 50 dernières années, fut-ce pour une période transitoire. Car on ne peut pas gouverner d’en haut une révolution née d’en bas…
Photo : M. Farhat Rajhi