23 septembre 2012

Un mal, dans tous les cas...




Il n'est pas facile de voir clair dans l’évolution de la transition en Tunisie, et de prédire l’avenir proche du pays, tant la crise socio-économique et les tensions politiques sont fortes, persistantes,  et tant les évènements se succèdent à grande vitesse et dans la cacophonie la plus totale. La Tunisie peut encore s’en sortir, comme échouer à traverser la zone de turbulences actuelle.

Et pourtant, à les écouter parler et exprimer leurs pensées, les tunisiens semblent détenir la vérité absolue sur l’avenir du pays. Ou plutôt les vérités, car il n'existerait que deux scénarios possibles.

Il y a ceux qui pensent que la Tunisie a déjà échoué, et qu’elle est en train de sombrer sous l’effet du nouveau diktat vert des islamistes, toutes tendances confondues. Ceux-là savent déjà pour qui voter, « si élections il y a » : Nida Tounes, le parti de l’expérience et des compétences, qui saura se montrer ferme face aux fondamentalistes religieux pour assurer ordre, sécurité et sérénité…quitte à réinventer l’autoritarisme destourien s’il le faut. Pour ceux d’entre eux qui expriment, malgré tout, des doutes sur la cohérence de ce parti, et sur l’honnêteté de certains de ses responsables, voter Nidaa Tounes serait un « moindre mal », ou un mal nécessaire pour dépasser la crise. Un « mal », dans tous les cas… Que ce « mal » s’occupe d’abord d’éradiquer les islamistes, par exemple en provoquant une crise de légitimité institutionnelle à partir du 23 Octobre 2012 et qui déstabiliserait davantage le pays. On demandera ensuite à nos sauveurs des gages sur nos droits et libertés, ou, au pire, on négociera le prix à payer… Comme on l’a bien fait sous Bourguiba et Ben Ali. 

D’autres te prédiront le retour invasif des RCDistes, de l’Etat policier et l’échec de la révolution si on ne fait pas tout pour maintenir, coute que coute, le gouvernement de la Troïka au pouvoir tel qu’il est, même s’il est composé en majorité de gens incapables de mener à bien leur mission. Leur seul mot d’ordre : la légitimité de ce gouvernement tirée des urnes est inébranlable, intouchable, malgré les erreurs et les errements répétitifs de ses membres actuels. Ceux-là sont persuadés qu’il y aura des élections prochainement (mais ne sauront pas vous dire quand exactement..) et savent qu’ils voteront pour le mouvement Ennahdha ou pour l’un de ses alliés futurs. Pour ceux d’entre eux qui expriment, malgré tout, leur déception du bilan gouvernemental ou leurs doutes sur les intentions démocratiques d’Ennahdha et de ses responsables, voter pour eux serait un « moindre mal », ou un mal nécessaire pour dépasser la crise. Un mal, dans tous les cas… Que ce « mal » s’occupe d’abord d’éradiquer les RCDistes, les bourguibiens,  les destouriens et toute la gauche avec, par exemple en votant une loi d’exclusion de leurs adversaires politiques ou en les menaçant de peine de mort s’ils touchaient à la légitimité gouvernementale. On demandera ensuite à nos sauveurs des gages sur nos droits et libertés, ou, au pire, on négociera le prix à payer…Comme on l’a bien fait sous Bourguiba et Ben Ali. 

Et les autres alors ? Ceux qui ne se reconnaissent ni dans les uns, ni dans les autres ? Qui continuent à croire en cette révolution et qui appellent de leurs vœux à un vrai changement ? Qui sont persuadés que ni les destouriens ni la Troîka n’ont quelque chose de bien à offrir à la Tunisie ? Qui n’adhèrent pas à la stratégie « éradicatrice » dans la politique, mais qui veulent plutôt construire de nouvelles choses ? Finiront-ils par choisir un camp ? Ou s’abstiendront-ils, ce qui serait synonyme de renoncement ? 

Ceux-là sont les orphelins de la politique tunisienne. Certains d’entre eux ont bien essayé, à un moment, de se réfugier dans des familles politiques d’accueil, croyant pouvoir « changer les choses de l’intérieur », mais la greffe n’a pas pris. Ou alors ils ont été vite rejetés, reniés, parce qu’ils ne rentraient pas assez dans le moule du militant-disciple et s'opposaient au statu quo, si cher à nos partis politiques. Ils se retrouvent aujourd’hui, et de nouveau, coincés entre les deux vieux démons de la politique tunisienne : les éternels ennemis destouriens et islamistes. 

Un jour, peut-être, ceux qui rejettent cette bipolarité sauront s’affirmer et se structurer en une force politique capable d'offrir une vraie alternative. Et parmi eux figurent peut-être de futurs grands leaders tunisiens. 

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