Évoquant la situation délicate que traverse le pays sur les
plans économique social et sécuritaire, le premier ministre tunisien,
interviewé par une journaliste à Davos, avoue sa difficulté à gouverner le
pays dans les conditions actuelles. Le jour même, l’appel de l’opposition pour une marche des libertés dans la capitale a drainé une foule dense de milliers de personnes, un nombre de manifestants probablement supérieur aux attentes des organisateurs, reflétant l'état de mécontentement et la crise de
confiance actuelle qui touche le gouvernement Jebali pour des raisons diverses et variées.
Avec la crise économique internationale, d'autres conditions étaient réunies pour que la situation se
corse rapidement après les élections. La forte mobilisation des populations pendant la campagne
électorale à coups de promesses irréalistes et irréalisables s'est vite retournée contre le gouvernement une fois constitué. L‘effet
inflationniste des promesses électorales a exacerbé les attentes; la déception post-électorale et la colère qui est montée partout dans le pays en sont la conséquence directe. Une colère
restée intacte un an après la révolution. Le temps mis pour négocier les
modalités et les conditions de partage du pouvoir, et pour constituer un
gouvernement qui se révèle finalement peu expérimenté et opérationnel, n’a
fait qu'augmenter l'insatisfaction. Le mois de janvier a ainsi été marqué par la recrudescence
des contestations sociales et politiques partout dans le pays. Le nombre
élevé de grèves, de manifestations, de tentatives d’immolations et de
routes coupées paralyse partiellement l’activité économique depuis le début
de l’année.
Ne sachant dans l'immédiat que répondre aux revendications, le gouvernement ne trouve pas mieux, pour gagner du temps, que de
crier au complot, et dénoncer la responsabilité d’une gauche "minoritaire" et "contre-révolutionnaire", qu’il convient aujourd’hui de désigner par la « gauche
zéro », en référence aux faibles scores électoraux qu’elle a obtenus. Autre
complot que le gouvernement ne cesse de dénoncer : le parti-pris d’une grande majorité
des médias et journaux qui, par leur critique obsessionnelle et peu objective du gouvernement, sont
accusés de rouler pour l’ancien régime et d’agir à l’encontre de la « volonté
du peuple ». Sans parler de l’UGTT, accusée de rouler pour la gauche zéro,
ou du gouvernement sortant accusé d’avoir pourri la situation avant de partir…
Certes, tout le monde ne veut pas que du bien
pour Ennahdha et ses alliés. Mais de là à crier au complot généralisé, le pas est vite franchi par un gouvernement qui se complaît dans la victimisation, en attendant de trouver de vraies solutions..
Faute de pouvoir susciter l’adhésion autour d’un vrai projet de
relance et de réforme qui soit clair et affiché, le gouvernement cherchera
pendant ce temps à exister sur la scène internationale. Non sans agacer, là encore.
Réception en grandes pompes du leader du Hamas accueilli avec
ferveur et … quelques slogans anti-juifs ; tapis rouge pour une brochette de
dictateurs venus fêter l’an I d’une révolution qui a chassé pas mal de leurs
voisins dans le monde arabe et qui les menacent encore, etc. La stratégie qui consiste
à repositionner la Tunisie sur le plan géopolitique en favorisant ses riches alliés
arabo-musulmans laisse sceptique. Comment accorder confiance sans mot dire à ces monarques autoritaires qui refusent de coopérer et de renvoyer Ben Ali, sa famille et leurs avoirs, qu'ils protègent chez eux? Là encore, la position du gouvernement n'a jamais été tout à fait claire, ni ferme.
Les liens se tendent aussi avec la société civile sur la
question des libertés et sur le débat identitaire, qu' Ennahdha et ses alliés ont cru bon de poursuivre après les élections. Le gouvernement est perçu d’un côté comme trop laxiste face aux comportements bruyants et agressifs d’une minorité
salafiste; et de l’autre côté comme trop autoritaire avec des médias et des
critiques qui, il est vrai, se montrent souvent
partiaux et parfois malhonnêtes dans leur traitement de l’information. Les positions
se radicalisent de part et d’autres, les uns dénonçant une quasi « nouvelle dictature islamiste »,
quand les autres accusent leurs opposants d’être « des mécréants » et
des contre-révolutionnaires. Cet attitude partagée de rejet de l’autre partie s’accompagne parfois
d’une intention de nuire, latente ou affichée, comme en témoignent l’affaire de la vidéo du ministre
de l’intérieur ou la violence des propos tenus par Chourou
envers les manifestants. Comme à chaque fois, la réponse du gouvernement a été soit molle, soit tardive...
Le gouvernement Jebali va-t-il persévérer dans sa politique de
l’accommodement, en agissant au gré de la pression de la rue, au
risque d’être perçu comme refusant d'assumer des décisions difficiles,
comme celle de se désolidariser nettement de la tendance salafiste?
Et quel
meilleur moyen pour asseoir sa légitimité et faire taire les critiques que de
prouver par les actes, plutôt que par les discours partisans et populistes, que ce gouvernement mérite la confiance de tous les tunisiens, et pas uniquement celle de ses
partisans?
Enfin, quelle sera la position du gouvernement face au rassemblement récent et au retour en force des néo-destouriens, un an après la dissolution du RCD? Va-t-on de nouveau crier au complot contre-révolutionnaire ou va-t-on plutôt travailler à créer une vraie alternative à ce qui reste d'un courant politique qui a déjà servi deux dictatures?
La balle est maintenant dans le camp de Jebali et de son gouvernement de la Troîka. A eux de se rattraper et de nous convaincre qu'ils sont meilleurs que l'opposition de gauche et que les destouriens, comme ils le prétendent. Pour y arriver, ils gagneront certainement à unir les tunisiens, toutes tendances confondues, autour d'un vrai projet qui rassemble, plutôt qu'à les diviser.
Enfin, quelle sera la position du gouvernement face au rassemblement récent et au retour en force des néo-destouriens, un an après la dissolution du RCD? Va-t-on de nouveau crier au complot contre-révolutionnaire ou va-t-on plutôt travailler à créer une vraie alternative à ce qui reste d'un courant politique qui a déjà servi deux dictatures?
La balle est maintenant dans le camp de Jebali et de son gouvernement de la Troîka. A eux de se rattraper et de nous convaincre qu'ils sont meilleurs que l'opposition de gauche et que les destouriens, comme ils le prétendent. Pour y arriver, ils gagneront certainement à unir les tunisiens, toutes tendances confondues, autour d'un vrai projet qui rassemble, plutôt qu'à les diviser.