09 juillet 2013

L'esprit de Ramadan

C'est l'histoire d'une couturière qui, après 30 ans d'expérience dans une usine textile allemande basée en Tunisie, se fait virer sans compensations lors d'un plan social.

Après 4 mois de chômage, elle accepte bon gré mal gré de faire le ménage dans une clinique. Elle devait absolument gagner sa vie. Mais elle renonce dès son premier jour de travail. "Mes mains qui cousent ne sont pas faites pour le Javel", s'est-elle excusée auprès de son employeur. Elle avait du mal à gâcher tout le savoir-faire acquis en 30 ans...Et puis, elle aimait bien coudre.

Son patron lui propose alors de travailler dans la buanderie de la clinique, pour retoucher les blouses des médecins. Il lui achète une machine à coudre neuve, la teste pendant 6 mois avant de la recruter. Femme aimable et digne, elle a toujours refusé les billets discrètement tendus par les médecins de la clinique pour la remercier des bons services rendus. Elle leur répondait à chaque fois qu'elle ne faisait que son travail, et qu'elle était déjà payée pour le faire. Elle avait pourtant besoin de cet argent. Avec son mari chauffeur d'un taxi qui ne lui appartient pas, ils avaient du mal à élever leurs 3 enfants et à rembourser les dettes.

6 ans après, elle tombe gravement malade. Il lui faut 2 opérations et suivre une chimiothérapie. La clinique lui a alors accordé 7 mois de congé maladie tout en lui payant l'intégralité de son salaire, les médecins, aux blouses impeccables, l'ont vite prise en charge. Elle a été opérée et soignée gratuitement. Elle reprend son travail dans 20 jours, non sans joie. Elle aurait accepté tous les billets tendus en 6 ans, elle n'aurait probablement pas ramassé suffisamment d'argent pour payer les soins qu'il lui fallait.

Finalement, qu'on jeûne ou pas, n'est ce pas cela l'esprit de Ramadan?

Bon mois à tous!

03 juillet 2013

Glissement sécuritaire

Ce billet a été initialement publié sur Al Huffington Post le 24/06/2013




En Tunisie, l'actualité des derniers jours n'a rien à envier à celle des pires périodes de la dictature de Ben Ali : un jeune réfugié politique obtient l'asile en France après avoir fui la justice tunisienne, un rappeur emprisonné pour les paroles de sa chanson, une activiste Femen poursuivie pour sa folie ou sa différence, c'est selon les perceptions... 

Les Jabeur, Ghazi, Amina, et Weld el 15 d'aujourd'hui sont-ils les Abbou et Ben Brik d'hier ? Ont-ils, au fond, été punis pour leurs opinions politiques ? 

Si la fuite de Ben Ali a nourri chez tous l'espoir de vivre enfin dans une société libre et plus juste, les libertés ne sont guère plus garanties deux ans après. On dit souvent que le seul acquis de la révolution est la liberté d'expression. Mais celle-ci est régulièrement remise en question par des décisions de justice dont la sévérité rappelle les décisions rendues dans de nombreux procès iniques sous Ben Ali. 

C'est qu'on a tendance à oublier l'essentiel : faute de réforme de la police et de la justice, deux principaux mécanismes de domination et de contrôle en dictature, le système qui nous gouverne aujourd'hui reste le même qui permit à Ben Ali d'étouffer toute voix discordante, ou même déplaisante, durant 23 ans. Seuls les hommes à la tête de ce système ont changé. 

La justice tunisienne, qu'on dit « indépendante », dispose d'un arsenal de lois conçues pour rétrécir au maximum l'espace des libertés et être au service du despote. Elle continue à subir la domination policière, l'influence de l'exécutif, et à être rendue selon la nature des procès et des accusés. Une justice « deux poids, deux mesures », dit-on souvent.

Quant à la police, première institution répressive sous Ben Ali, elle est désormais qualifiée de « Républicaine » pour rassurer les masses et laisser croire qu'elle ne représente plus ce corps « à part » qui n'obéit pas aux règles de la République. Pourtant, le rapport de la Police avec le citoyen continue d'être entaché de violence arbitraire, verbale et physique, de bavures, et d'abus de pouvoir. La violence des policiers envers les soutiens du rappeur lors de son procès témoigne parfaitement de la supériorité du pouvoir policier, et de son impunité qui perdure. En pourchassant et en agressant d'autres rappeurs et journalistes venus soutenir Weld El 15, la Police a voulu imposer sa propre loi, et ce même dans les couloirs du tribunal de Ben Arous...

Et pourtant ! Dans le projet de constitution, l'Etat garantit la liberté de conscience dans l'article 6, les libertés d'opinion, de pensée, d'expression, d'information et de publication dans l'article 30, et la liberté de création dans l'article 41. Au moment même où le projet de constitution va être discuté en plénière, les mêmes droits qu'elle est sensée défendre sont bafoués quotidiennement par la justice. Que vaudront ces garanties constitutionnelles face à la machine répressive toujours en place ? Pas grand-chose en l'absence de trois prérequis fondamentaux : des mécanismes efficaces et indépendants pour faire respecter la loi fondamentale et l'imposer sur les lois en vigueur. Des réformes en profondeur de la police et de la justice. Et enfin un consensus authentique sur la nécessité de garantir ces droits et libertés, à tous les tunisiens, sans exceptions ni limites. 

Adopter une constitution protectrice des droits et libertés est nécessaire mais insuffisant. S'assurer de sa supériorité, de son respect et de sa bonne application est encore plus important. Sur ce dernier point, le projet de constitution est limpide et dangereux à la fois dans son dernier article : « N'entrent en vigueur les dispositions relatives à la compétence de contrôle de constitutionnalité par voie d'exception qu'après trois ans d'exercice par la Cour constitutionnelle de ses autres attributions. Les autres juridictions sont considérées incompétentes en matière de contrôle de constitutionnalité des lois ». A quoi bon alors écrire une constitution si c'est pour la ranger dans un placard durant trois ans ?
 

A croire que le véritable trésor de Ben Ali n'est ni dans les paradis fiscaux, ni dans son palais en Arabie-Saoudite, mais plutôt dans la redoutable machine de captation du pouvoir qu'il a forgé et légué à ses successeurs.

Mise à jour : Si l'on peut se réjouir de la libération de Wel el 15 le 1er Juillet 2013, le sort de Jabeur, Ghazi, Amina et les autres prisonniers d'opinion ne sont toujours pas tranchés. Affaires à suivre..