La Troïka, cette coalition tripartite entre islamistes et séculiers,
présentée par ses défenseurs comme le seul recours pour ne pas tomber dans la
bipolarisation idéologique, et comme une expérience unique en son genre à
même de représenter un modèle pour toute transition démocratique, n’est plus.
Elle n’aura pas survécu aux velléités hégémoniques d’Ennahdha et à l’absence de
vision et de projet fédérateur, à part peut-être celui de partager le pouvoir
sur la base des résultats des urnes et du nombre d’années passées en prison par les militants des différents partis.
La crise en son sein couvait depuis des mois, elle est allée
crescendo jusqu’à l’implosion de la coalition, précipitée par l’assassinat
politique de Chokri Belaid. La logique de l’inaction adoptée par les partis qui
la composent, plus soucieux de se maintenir au pouvoir et de survivre que
d’agir, est l’une des causes de cet échec. Nous attendions des ministres de la volonté et du courage politique, nous avons eu droit à un
gouvernement pléthorique composé de ministres incompétents et qui se sont
distingué par leur comportement rentier et leur allégeance partisane. Toute
tentative de reformer une coalition politique, à l’image de la Troïka mourante,
ne changera probablement pas la donne.
« Mais nous sommes légitimes », affirment-ils à
chaque fois pour justifier leur immobilisme et l’absence de bilan. Sauf que la
légitimité ne réside pas uniquement dans le simple exercice du pouvoir, mais
surtout dans la capacité de ceux qui gouvernent à relever les défis politiques,
économiques et sociaux du pays. Ben Ali et son RCD, aussi, ne cessaient de
revendiquer leur légitimité pour s’accrocher au pouvoir, ils furent finalement
chassés par la rue. Cette même rue qui n’a pas manqué de signer l’arrêt de mort
de la légitimité de la Troika, suite aux manifestations de colère massives qui
ont marqué les jours qui ont suivi la mort de Belaid et surtout, le jour même de son
enterrement.
Tout au long des mois précédents, nous n’avons eu droit qu’à
de la surenchère populiste de la part de ministres beaucoup plus présents sur
les plateaux de télé et de radio que dans leurs ministères. Toute opposition à
leur politique était automatiquement taxée de trahison. La distinction « avec
ou contre l’intérêt national » dans le discours dominant des partis au
pouvoir nous rappelle fortement la dualité « pour ou contre la Patrie »
qui était omniprésente dans le langage RCDiste. L’exclusion comme principal
moyen de gouvernement, telle était la priorité des partis de la Troika pour
contrer leur marginalisation politique, et tuer ainsi tout embryon de
pluralisme dans la scène politique.
La légitimité n’étant pas définitivement acquise, et ils
l’ont bien compris, ces mêmes partis tentent depuis des jours d’appeler au
sacro-saint « consensus national ». Mais de quel consensus
parlent-ils ? Le seul choix consensuel auquel ils sont arrivés en 7 mois
de négociations interminables pour un simple remaniement est celui de ne pas
trouver d’accord ! Toute initiative dans ce sens a été sabotée par les partis au pouvoir et s’est
soldée par l’échec. Sans véritable envie de faire des concessions, de
reconnaitre les échecs et de partager le pouvoir, le consensus ne restera qu’un
mot vide de sens, et sa recherche, de la perte de temps.
Chokri Belaid est mort assassiné, ne tombons pas dans l’oubli,
dans le silence et dans la peur qu’un tel évènement dramatique peut susciter. Il
nous faut absolument maintenir la pression en manifestant notre refus des
faux-consensus qui viendraient gommer cet acte qui représente la véritable
trahison à la Nation. Que le prochain gouvernement soit technocratique,
politique ou mixte, là n’est pas la question la plus importante. La seule
interrogation qui devrait nous occuper les esprits jusqu’à trouver une réponse satisfaisante
est : qui a tué Chokri Belaid ?