Le gouvernement tunisien a hérité du
système étatique Benaliste. C’est-à-dire
d’un État hyper-centralisé, policier et désengagé; d’institutions corrompues, dépossédées de
leurs prérogatives et court-circuitées par des réseaux de clientélisme très actifs
et puissants ; d’une administration déresponsabilisée et longtemps fondue dans
le système du parti unique ; et d’une société souffrant d’une situation de
profonde injustice sociale, conséquence directe de ce système étatique Benaliste
et de la mauvaise gouvernance qu’il génère.
Plus d’un an après la révolution, l'État et ses institutions
dysfonctionnent
toujours ; le corps et l’esprit du Benalisme persistent. Cet État, qui
a longtemps méprisé et corrompu le peuple, continue à l’instrumentaliser et à
détourner la loi et l’éthique pour servir les intérêts politiques, économiques
et idéologiques d’une minorité au pouvoir et de ses clans satellites. La
justice, toujours sous contrôle gouvernemental direct, est malléable et
corvéable à souhait. Les médias, publics et privés, manquent d’indépendance et
d’objectivité. La police, se croyant toujours au-dessus de la loi, bénéficie
encore d’une impunité totale.
En s’accommodant de ces dysfonctionnements, en reproduisant les mêmes mécanismes et
pratiques étatiques et en recyclant en partie les caciques de l’ancien régime,
l’actuel gouvernement tunisien ne fait que perpétuer, voire renforcer, l’injustice
sociale dont souffre les tunisiens dans leur majorité. Il avoue par ailleurs
son échec à réaliser l’un des objectifs primordiaux qu’il s’est lui-même fixé :
instaurer la bonne gouvernance.
Rendues complètement dépendantes de l'État et de ses
structures, les populations défavorisées, surtout en région, sont en conflit
ouvert avec l'État et le gouvernement qui le pilote et le représente, et ce malgré
sa fameuse « légitimité » tirée des urnes, pour réclamer moins de
négligence et plus de justice. Ce conflit se traduit par les grèves, les sit-in
et les violences récurrentes et persistantes qui marquent la transition
tunisienne, et que les élections et les changements de gouvernements n’ont pas
réussi à atténuer.
Au lieu de s’attaquer de front à la réforme de l'État et de
ses institutions pour casser cette logique d’injustice sociale institutionnalisée,
le gouvernement tunisien, frileux et inexpérimenté qu’il est, a préféré
détourner l’attention sur d’autres sujets
futiles pour gagner du temps et éviter un éventuel échec coûteux sur le
plan électoral. L’absence de volontarisme politique pour porter des réformes urgentes
et prioritaires laisse croire que les partis au pouvoir -comme d’ailleurs ceux de
l’opposition qui brillent par la faiblesse de leurs propositions- n’ont fait
que mentir aux tunisiens durant tout ce temps post-révolutionnaire sur leur réelle
volonté de réforme et de rupture avec le système et les pratiques d’antan. Leur
accès et leur maintien au pouvoir demeure leur principal objectif. Et ça, les
tunisiens, dans leur majorité, l’ont compris, ce qui explique la déception et
le manque de confiance persistant de l’opinion publique envers la classe
politique dans son ensemble.
Qu’on ne s’y trompe
pas : le mal tunisien ne s’atténuera et la tension ne s’apaisera qu’avec
une rupture nette avec les vieilles habitudes, ainsi qu’une répartition plus
équitable des richesses, des droits et des devoirs dans notre société. Ni la
religion, ni l’identité, et encore moins la morale et les débats idéologiques stériles
ne sont des solutions efficaces à ce problème fondamental qui fut, est-il utile
de le rappeler, à l’origine de la révolution tunisienne : celle de la
dignité, de l’égalité, du travail et de la citoyenneté.
L’hégémonisme des partis politiques au pouvoir et le
népotisme de leurs responsables ; la
tricherie de certains élus, leur manque de transparence et de
responsabilité ; les abus de
pouvoirs et la
corruption dans la fonction publique et en dehors de celle-ci ; la
désinformation et la manipulation de l’opinion publique ; etc. toutes ces
pratiques qui ont tellement fait de mal à la Tunisie sous la dictature et qui
sont perpétuées aujourd’hui par la nouvelle classe politique ne sont
acceptables et ne seront acceptées. Les politiciens, aveuglés par leur course
au pouvoir et embourbés dans leur crise d’identité, feraient mieux de se
ressaisir au plus vite et de s’occuper
des vrais problèmes, au risque d’être emportés, eux aussi et plus vite qu’ils
ne le croient, par une colère populaire toujours très vive.
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