30 janvier 2011
Tunisie : de la difficulté de se défaire de l'ancien régime
Plus important et certainement plus difficile que de pousser le dictateur et son clan mafieux à prendre la fuite, le démantèlement du corps et de l'esprit du Ben-alisme est le réel défi d'une transition démocratique en Tunisie.
L'Etat Benalien hérité est avant tout un état policier qui repose sur un nombre d'institutions de contrôle et de réseaux d'influence enracinées dans la population, ce qui a fortement façonné les comportements de tous durant 23 ans. Sa mission principale consiste à surveiller, quadriller la population et à réprimer avec violence tout ce qui pourrait sortir du cadre et gêner l'ordre dictatorial.
Les récents évènements de la Casbah démontrent parfaitement la prégnance de la logique policière et répressive. "Ordre n'a pas été donné de faire évacuer la place", affirme pourtant un ministre. Mais la légitime défense invoquée par le ministère de l'intérieur face aux provocations de certains "manifestants" infiltrés sur place ne saurait justifier les attaques violentes et les pratiques douteuses d'organes plus ou moins autorisés de la Police comme cela a été relaté par de nombreux témoignages. Tout laisse à croire que des groupes de l'ancien régime, formels et informels, dans l'Etat et à son extérieur, cherchent toujours à provoquer des tensions, à manipuler les manifestants et échappent encore au contrôle. Ces éléments discrets et imprévisibles que les tunisiens nomment "milices" tentent encore de semer le trouble. Seule note positive dans l'affaire : la justice a su s'imposer en ordonnant la libération immédiate des manifestants arrêtés. Le pouvoir de la Police n'a pas été au dessus de celui de la justice, pour une fois...
Nous héritons aussi d'une scène politique pauvre et constituée d'un parti hégémonique, sans adversaires politiques, qui tournait dans le vide depuis de nombreuses années et entretenait de multiples réseaux de corruption et de clientélisme. En face une opposition faible, pas assez populaire et déstructurée essaie de gagner la confiance du public. Une zone d'ombre subsiste toujours sur l'influence réelle et sur les intentions du parti islamiste qui a bruyamment accueilli aujourd'hui son chef en exil. Mais une chose est sûre, la seule véritable force capable d'exercer une pression est celle de la rue qui, sans être représentée, a réussi à faire exclure tous les ministres sortants du gouvernement de transition, exception faite du premier ministre. L'espoir repose aussi sur les trois commissions d'enquête et de travail sur les réformes à venir et sur leur capacité à impulser un changement fort du système actuel et à déverrouiller le système Ben Ali.
Pour finir, un petit retour dans le passé. Nous sommes début 1990, l'épouvantail intégriste et islamiste est dressé haut et fort par Ben Ali pour justifier un mouvement de répression de grande échelle, le verrouillage de l'information et de l'espace de débat public. Une majorité de tunisiens de classe moyenne et bourgeoise se rangent derrière Ben Ali et acceptent la chape de plomb, craignant l'étendue des troubles et le prolongement de l'instabilité. L'histoire nous apprend qu'accorder du crédit au gouvernement de façon aveugle et unanime ne nous a jamais réussi en Tunisie, ni les concessions cédées au nom de la sécurité et de la stabilité. Il serait temps d'arrêter d'avoir peur de tout : des islamistes, des communistes, des milices, de la Police, etc... et de les affronter sur le terrain idéologique et dans le cadre de la loi plutôt que sur le plan sécuritaire...La vigilance, l'esprit critique et la liberté d'expression sont des armes efficaces pour y parvenir.
Crédit Photo : © Philippe de Poulpiquet / Maxppp
17 janvier 2011
Tunisie : l'espoir d'un meilleur avenir
Il m'est impossible ce soir de décrie mon admiration pour ce peuple digne et courageux qui a installé un changement aussi rapide et profond. Cela porte un mot, parait-il : la révolution!
Il m'est aussi difficile de décrire la peur et la rage qui m'ont meurtri ces derniers jours en suivant les violences commises par les miliciens de Ben Ali et en m'inquiétant pour les miens.
Ben Ali, en plus d'avoir lâchement fui, a véritablement commis un crime contre son peuple. Il a été traitre, même après son départ. Les tunisiens ont bien fait de le "dégager". Le temps nous aidera à comprendre le complot qu'on a voulu monter contre le pays, tous les responsables seront démaqués. Il devront rendre compte à la justice un jour, à commencer par l'ex-dictateur. Nous y veillerons.
Pour l'instant, les tunisiens reprennent le travail, s'organisent et font de leur mieux pour reprendre un cours de vie normale. Ils se prêtent main forte pour mieux supporter ces moments difficiles et pour aider l'armée dans sa tâche difficile. D'autres s'engagent pour créer des associations, recommencent à construire des projets et s'expriment librement. Tous ont hâte de retrouver leur liberté de dire, d'agir. Et d'effacer les 23 ans de l'ère Ben Ali. L'euphorie de la liberté subitement retrouvée nous gagne de jour en jour. Elle nous rend plus fort.
Un nouveau gouvernement de transition vient de se constituer et cela suscite beaucoup de réactions. Beaucoup ne sont pas satisfaits de la présence dans ce gouvernement de 8 ministres sortants qui appartenaient au "système" Ben Ali. Ils expriment leur crainte de voir le RCD se réinstaller tranquillement et compromettre le changement. Et je les comprends. Tout ce qui appartient ou renvoie à l'ancien régime est violemment rejeté par une écrasante majorité de tunisiens. Le fait qu'on se soit pressé d'enlever par centaines les affiches de Ben Ali et qu'on ait déjà donné de nouveaux noms aux édifices et aux rues qui portaient son nom est un symbole fort de ce rejet. Les suspicions ne se dissiperont qu'une fois le rôle de chacun dans l'ancien régime soit éclairci et connu par tous.
Mais cela prendra du temps. Ce qui est urgent par contre, c'est de diriger le pays et relancer la machine de l'économie.
L'un des effets les plus pervers du pouvoir de Ben Ali est d'avoir écarté durant 23 ans toutes les figures de l'opposition des hautes fonctions de l'État. Cela ne s'improvise pas. Rares sont les figures de l'opposition qui ont l'expérience et l'expertise suffisantes pour diriger un ministère et assumer de telles responsabilités. Certaines personnes ont peut-être le potentiel de le faire, mais cela n'est pas suffisant, surtout en cette période risquée.
Ce nouveau gouvernement est loin d'être parfait. Il est encore trop frileux dans sa communication, et pas assez clair dans son message pour rassurer. Il a également exclu de facto des figures et des mouvements politiques qui, même s'ils n'ont jamais pu exercer dans la légalité sous Ben Ali, existent bien dans le paysage politique tunisien. L'exclusion par exemple de Moncef Marzouki, dirigeant du Congrès pour la république (CPR) et fervent opposant de l'ex dictateur, vient en contradiction des slogans portés par des millions de tunisiens ce dernier mois. Il faut également lever le tabou du parti Enahdha, ou ce qu'il en reste, et accepter le fait qu'une partie de nos concitoyens est pour un parti politique religieux. Nous le constatons autour de nous, nous vivons avec eux, ils ne sont pas tous des "terroristes". Il nous faut maintenant juger si ce parti est prêt à respecter les lois de la République, les acquis et les aspirations d'une majorité de tunisiens. Rappelons-nous, le peuple tunisien a été exclu durant 23 ans de la scène publique et politique, il a fini par se retourner contre son oppresseur...
Il nous faut donc rester vigilants mais raisonnables. Ne pas désespérer pour le moindre recul et la moindre erreur, et ne pas s'emporter pour la moindre avancée. Le système Ben Ali est en cours de démentellement, à nous de sécuriser et sauvegarder chaque pas fait en avant. Faisons en sorte que les libertés soient vraiment assurées en dénonçant chaque abus. Les prisonniers politiques vont être libérés et les exilés vont enfin pouvoir rentrer chez eux. Faisons en sorte que ce nouveau gouvernement respecte cette promesse. La censure vient d'être levée, sauvegardons une toile libre.
Le chemin à parcourir est encore long, il sera aussi semé d'embuches. Mais après ce que nous venons de vivre, comment ne pas nourrir l'espoir d'un meilleur avenir?
Photo prise lors de la manifestation de Samedi 15 janvier 2011 à Paris
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