20 février 2010
"Il fait si bon vivre chez nous"
L'éditorial de ce Samedi du journal LeTemps au titre bien pompeux "Il fait bon vivre chez nous" est révélateur de la double nature contradictoire du régime tunisien : un régime autoritaire qui continue à vendre un pays stable et sécurisé, et de bénéficier en retour de l'image positive du "bon élève" au sein d'une communauté internationale hypocrite et opportuniste.
En quelques lignes, l'auteur commence à parler de tourisme pour finir par un rappel des principaux arguments usés par le régime pour vanter son modèle de réussite et bénéficier de la tolérance et de la coopération de la communauté internationale :
"(...) Finalement la croissance, l'investissement, l'afflux des étrangers ne sont pas uniquement tributaires du cadre macro-économique viable. Rien ne se fait en effet sans stabilité politique, sans paix sociale et sans sécurité. Oui, il fait bon vivre chez nous. Et pour rien au monde nous n'y renoncerons."
Équilibre macro-économique, stabilité politique, paix sociale, et sécurité...Voici un mixe de critères qui parleront plus aux bailleurs de fonds et autres institutions économiques et financières internationales qu'à un citoyen lambda. Des institutions qui sont juges et parties à la fois : elles sont garantes des aides indispensables pour la Tunisie et sont en même temps les premières à lui donner des satisfécits et lui accorder le statut de "pays en voix de développement et de démocratisation". Des institutions qui obéissent aux seules lois du marché et qui sont constamment soumises à diverses pressions politiques. Elles ont une lecture macro-économique, normative et à court terme de la situation économique, sociale et politique d'un pays. Tant qu'un petit pays dépendant de leur aide comme la Tunisie continuera à absorber autant de fonds et à les rembourser, à simuler la libéralisation économique, à assurer la croissance, à éviter l'implosion sociale et à contrôler "l'invasion islamiste", on continuera à bien le considérer. Le régime tunisien l'a très bien compris. Mais cela suffit-il à accorder à un pays le statut de "bon élève", ou d'avancer qu'il y fait bon vivre?
Quel sens donner à des chiffres de croissance économique ou à une première position dans un classement si on extrait ces données de leur contexte social et politique? Que penser d'une croissance économique qui est accompagnée d'une augmentation du chômage et des inégalités? De la stabilité politique dans un contexte de censure et de répression des libertés et en l'absence de vraie alternance? Peut-on vraiment se sentir en sécurité dans un pays où on peut être constamment surveillé et où peu de gens sont à l'abri d'une sanction arbitraire? S'il fait si bon vivre en Tunisie, pourquoi ses jeunes et ses moins jeunes rêvent toujours de la quitter?
"Il fait bon vivre chez nous"; c'est peut-être ce que pense vraiment l'auteur de ce petit éditorial. D'autres citoyens tunisiens comme Saida, Hechmi, Sonia, Fahem, Sami et Mohammed ont leur propres opinions sur la question qu'ils développent dans une série de témoignages réalisés par la RSR. Écoutez-les, ça vaut mille de ces classements sur la qualité de vie en Tunisie...
06 février 2010
L'autre Tunisie
Deux années après les manifestations sociales de Redeyef, un scénario similaire s’est répété récemment à Skhira, petite ville de quelques dix milles habitants située dans le golfe de Gabes :
"La paisible petite ville (...) a connu un début de semaine très mouvementé. Le lundi 1er février 2010, un rassemblement de jeunes diplômés au chômage originaire de la ville s’est formé pour protester et exiger du travail. Très rapidement les forces de l’ordre ont rappliqué en nombre, munis de matraques et bombes lacrymogènes. Poussés violemment aux abords de la ville, les manifestants ont tenté de retourner à leurs domiciles par la route nationale (...) où ils auraient été rejoints par leurs familles, des élèves et d’autres habitants qui assistaient aux événements. La police a finalement réussi à disperser les manifestants dont plusieurs ont été interpelés et certains blessés"
Les manifestants réclamaient depuis longtemps leur droit au travail dans la nouvelle usine de phosphate qui s'installe dans la région. Le faible taux de recrutement de locaux et l’arrivée de travailleurs d'autres recoins du pays ont exacerbé les colères et poussé les habitants à sortir dans la rue pour porter leurs revendications.
Tout comme le bassin minier de Gafsa, Skhira est une ville qui appartient à "l'autre Tunisie", celle qui a été mise à l'écart du développement économique et du progrès social qu'a pu connaître le pays ces vingt dernières années. Et celle dont les populations, surtout les plus jeunes d'entre elles, sont sévèrement touchées par un chômage de longue durée. Un chômage qui crée de la précarité, qui marginalise et qui pousse la population soit à l’exclusion, soit à la migration.
Ce qui s’est passé à Skhira n’est pas nouveau, mais vient nous rappeler que la Tunisie est un pays qui avance à double vitesse : il y a la Tunisie relativement prospère qui concentre 80% de la production nationale sur 60% de la population (Littoral-Nord). Et celle qui se paupérise et qui représente 40% de la population avec seulement 1/5 ème de la production nationale (Sud-Ouest). Des disparités qui ne cessent de se creuser. Cela montre également que la Tunisie peine toujours à transformer de façon équitable la croissance de ses ressources et de ses revenus en progrès social et humain. A ce rythme, le droit à un travail décent et correctement rémunéré, et donc à une véritable place dans la société, vont s'affirmer avec le temps comme des revendications socio-économiques prioritaires pour un certain nombre de catégories marginalisées de la société . Il s’agit essentiellement des jeunes peu ou mal éduqués qui rencontrent des difficultés à trouver leur place dans le marché du travail; ceux qui sont au chômage prolongé et qui peinent à s’insérer malgré leurs formations, et les travailleurs pauvres ou précaires dont le pouvoir d’achat ne cesse de baisser.
Du côté des autorités, le recours à la force a été comme toujours la seule réponse apportée face à des revendications socio-économiques légitimes. De telles démonstrations de force sonnent comme un aveu d'échec des autorités à traiter efficacement le problème du chômage, particulièrement celui des jeunes, autrement que par la violence et la répression comme première réponse, ensuite par des séries de mesures ponctuelles qui ne traitent pas le mal à l'origine mais qui servent seulement à colmater les brèches. Jusqu'à la prochaine explosion de colère...
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