En Tunisie, l’indépendance de la justice relève plus de la fiction que de la réalité. Qui en doute encore ?
La justice tunisienne, cette institution pourrie et gravement soumise au politique, est loin d’être à la hauteur du rôle stratégique qu’elle devrait jouer dans cette transition. Sous Ben Ali, nous n’avons connu que des simulacres de justice lors des nombreux procès intentés contre les opposants politiques, les journalistes et les défenseurs des droits. Aujourd’hui, nous constatons avec regret la poursuite de ce simulacre avec la libération douteuse et incompréhensible d’anciens hauts responsables, qui sont pourtant officiellement arrêtés et poursuivis dans des affaires de corruption et d’abus de pouvoir.
Cette même justice, qui s’est montrée habile, rapide et efficace pour cautionner la répression d’innocents sous l’ancien régime, peine aujourd’hui à poursuivre les présumés coupables sur lesquels pèsent de lourds soupçons. Y a-t-il meilleure preuve de sa soumission aux manœuvres politiques en cours, et de son implication dans les affaires les plus sales qui ont marqué l’ère Ben Ali ?
Nous assistons ces jours à des manœuvres et à des pressions exercées par les anciens caciques du régime qui n’entendent pas être seuls à payer pour tous, et qui menacent de dévoiler les affaires de corruption et d’abus qui impliquent grand nombre de magistrats, et probablement d’autres responsables qui occupent toujours de hautes fonctions dans l’administration et dans le gouvernement. Des bruits circulent toujours sur l’argent sale qui continue de faire et défaire les procès et les accusations…
Pire que l’inefficacité de la justice à faire la lumière sur les abus d’anciens dirigeants, nous assistons également à un traitement inéquitable des affaires en fonction de la « puissance » du personnage impliqué. Nous avons l’impression que la justice, qu’elle soit militaire ou civile, se montre plus clémente vis-à-vis des élites du pouvoir qu’envers des justiciables ordinaires. Ainsi, cette même justice acceptera volontiers la libération d’un Tekkari pour « des raisons de santé », mais maintiendra un Samir Feriani en détention…Dans le même genre, voir une Saida Aguerbi quitter le pays en toute insouciance et en toute liberté est outrageant. Ces deux personnages, et pleins d’autres, furent les plus fervents défenseurs et profiteurs de la dictature de Ben Ali. (ici et ici, pour la mémoire)
Il est clair qu’on ne peut faire éclater la vérité quand on est « juge et partie » à la fois. Il serait illusoire de croire que la justice tunisienne est en capacité et en légitimité pour faire ce travail. Les récentes libérations d'ex responsables sous Ben Ali sonnent comme un échec de la justice tunisienne à mener un tel chantier et ravivent la colère des citoyens envers les institutions et le gouvernement de transition.
Je le redis et y croit fort, cette tâche incombe à une commission vérité indépendante, une commission composée d’experts locaux et internationaux dédiés et non impliqués, et qui ne peuvent céder aux pressions car ils n’auront rien à perdre ni à gagner à clarifier les responsabilités des uns et des autres. La future assemblée constituante pourra ensuite s'occuper de la réforme de la justice.
Nos partis politiques, trop occupés dans leurs calculs électoraux, devraient s'impliquer davantage et se pencher sérieusement sur cette question. C’est probablement pour eux l’un des moyens les plus efficaces pour regagner la confiance des électeurs, qui ne cessent de montrer leur lassitude et leur désintérêt pour le prochain scrutin. Car avec de telles désillusions, ils croient de moins en moins à un réel changement...
Source illustration : DEBATunisie