17 juin 2008

Troubles de la paix sociale…

Des journalistes sont montés au front depuis deux semaines pour défendre « la stabilité et la paix sociale », conditions nécessaires pour un développement économique durable. L’intervention en force de la police pour réprimer les manifestations de Redeyef serait alors justifiée par la nécessité de maintenir la paix sociale dans le pays.

L’argument est juste, et on a envie d’y adhérer, car tout le monde s’accorde à dire que la Tunisie n’aurait jamais pu réaliser autant d’avancées économiques sans cette relative stabilité sociale. L’expérience douloureuse de l’Algérie voisine dans les années 90, et ses conséquences négatives sur le développement économique du pays, le confirme également. Les organisations internationales ont même crée des indices de stabilité pour estimer « le risque pays », des indices qui influent fortement l’attractivité des pays pour les investissements.

Mais ce que ne disent pas ces journalistes, c’est que la stabilité se crée, mais ne s’impose en aucun cas par la force. L’état de droit, le développement équitable et les réformes économiques cohérentes sont de nature à créer un environnement stable et propice à la paix sociale. A l’opposé, la corruption, les inégalités et la répression sont les causes de l’instabilité. Dans les pays arabes, les conditions favorables à la paix sociale font défaut, mais on persiste à vouloir imposer la paix sociale par la force, en réprimant fortement et rapidement toute forme de contestation sociale. En témoignent les récentes manifestations au Maroc et en Egypte et qui ont été gérées de la même manière qu’en Tunisie

L’encadrement strict de toute contestation est une solution facile mais limitée. Car elle contribue davantage à exacerber les tensions qu’à l’apaisement. L’absence d’intervention de tout autre intermédiaire crédible de la société civile, des partis politiques ou des ONG, qui auraient pu contribuer à régler le conflit, laisse peu de choix à des populations défavorisées et isolées. Le mécanisme vicieux qui s’en suit est bien expliqué par Rami G. Khouri, éditorialiste au Daily Star, quand il écrit que:

La plus grande partie de la population, sans réelles options, devient passive et sans réaction, se sentant dans certains cas déshumanisée par le fait que sa propre société la traite avec le même dédain que celui qu’elle avait subi précédemment de la part des occupants coloniaux étrangers. La conséquence la plus dangereuse d’états et de politiques gouvernementales se tournant vers une gestion du pouvoir basé sur la sécurité et le contrôle, alors qu’un système basé sur un état de droit serait bien meilleur, est que cela fait de la violence la première des habitudes puis ensuite une norme. (…)

Khouri explique plus loin que ces gens, qui sont des perturbés plutôt que des perturbateurs, peuvent faire appel à la violence comme dernier recours, s’ils ne sont pas entendus dans leurs manifestations pacifiques :

Cependant, la leçon pour tous, devrait être que la répression armée ne produit ni sécurité, ni stabilité et encore moins la docilité. Elle ne fait que transformer des citoyens jadis respectueux de la loi en un peuple engourdi et en colère qui estime qu’il a peu d’intérêt dans un système qui ne le traite pas de façon humaine. Perturbés, rabaissés, appauvris et inquiets pour l’avenir de leurs enfants, ils commencent à résister et à défier leur propre élite au pouvoir. En fin de compte, certains rendent les coups, au début par la résistance passive, des grèves et des protestations pacifiques. Quand ces moyens sont bloqués, ils utilisent alors la même violence que celle qu’ils voient utilisés contre eux par leurs propres gouvernements…(…)



PieceNow, image prise du documentaire The Weather Undergound, Sam Green, Bill Spiegel, 2003


Quant à Moncef Kilani, un universitaire tunisien, il explique que ces crises sont conséquentes au système politique, qui a tendance à les (re)générer d’une manière cyclique:

La masse demeure une mue, en fonction de la conjoncture, soit par l’esprit de soumission, soit par l’esprit d’émeutes. En effet, dans l’imaginaire politique, ordre et désordre s’alternent sur un mode tragique. De sorte que si la situation économique s’empire, c’est la rue qui deviendra maîtresse du jeu en n’empêchant toutefois pas la reconduction du système par l’alternance de répression et de la concordance civile. Le scénario classique de la crise/violence/dialogue demeure à cet effet toujours valable. Autrement, le système se maintient par un dosage subtil de la coercition et de la cooptation des notables et autres élites aspirant à jouir des privilèges conférés par le pouvoir politique. La balbutiante société civile est en permanence minée par ce jeu quand elle n’est pas surveillée et contrôlée par un état où domine une culture de Makhzen de soupçon envers la société laquelle est assimilée à une source d’anarchie et de régression. En conséquence, le corps social est constamment gagné par le désintérêt de la chose publique, impulsée uniquement par l’Etat qui empêche ainsi le sens civique de se développer. (…)
Aussi la société demeure-t-elle dans un étrange rapport de soumission/fascination envers l’Etat, alors que l’esprit égalitariste ainsi que le mimétisme qui y règnent servent certes de bouclier contre le conflit social généralisé et violent, mais également de limite à l’innovation et à la différenciation.

Face à la complexité de ces mécanismes, il est difficile de trouver une recette toute prête à une crise dont les causes semblent être plus « structurelles » que conjoncturelles. Et il est aussi illusoire de s’attendre à un quelconque miracle pour sa résolution. Alors, que reste-t-il à faire ? D’abord, des pratiques à stopper, ensuite des responsabilités à assumer…

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